Par André SHAMBA.
Le Burundi traverse une période de fortes turbulences depuis un peu plus d’un mois. Pour cause, la volonté du président Pierre Nkuruziza de briguer un troisième mandat considéré comme inconstitutionnel par l’opposition et la société civile burundaises. La constitution de ce pays limitant à deux le mandat présidentiel, de même que les accords d’Arusha qui ont permis au Burundi de retrouver la paix après une décennie de guerre civile.
Bref retour sur les temps forts de la crise en cours
Tout est parti des soupçons selon lesquelles l’actuel président du Burundi, qui est à sa dixième année de pouvoir et à la fin de son deuxième quinquennat (un mandat ayant 5 ans), voudrait se représenter pour un troisième mandat – Des soupçons plus tard confirmées à la presse par son conseiller en communication, affirmant que M. Nkuruziza « n’était qu’à son premier mandat constitutionnel ; les 5 premières années (2005-2010) de son pouvoir ne tombe pas sous le coup de la limitation de mandat consacrée dans la loi fondamentale burundaise du fait qu’il avait été désigné par le parlement et non pas élu au suffrage universel direct ». Quant aux accords d’Arusha, ils « ne sont pas au dessus de la constitution » poursuit Willy Nyamitwe. Conséquence, ces accords « n’ont aucune influence » sur la vie politique actuelle de l’Etat burundais, conclu-t-il.
La sortie médiatique de Willy Nyamitwe déclenche des réactions virulentes contre un troisième mandat du président sortant. L’opposition politique, la société civile ainsi que la toute puissante Eglise catholique burundaise déclarent tour à tour ne pas être prêtes à laisser Nkuruziza se représenter une fois de plus à l’élection présidentielle. Elles promettent d’organiser des manifestions pacifiques pour amener ce dernier à renoncer à ce qu’elles qualifient d’ « un coup de force ».
Depuis des mois, la communauté internationale ne cesse de mettre en garde contre une nouvelle candidature de Pierre Nkurunziza, craignant qu’elle ne débouche sur de nouvelles violences à grande échelle. Allusion faite aux années sombres durant lesquelles le Burundi était plongé dans la violence généralisée.
Le samedi 25 avril 2015, le président sortant du Burundi est désigné candidat du CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie), son parti politique, à la prochaine présidentielle, à l’issue d’un congrès tenu à Bujumbura. Une candidature soutenue par un peu plus 90% de 900 délégués de la majorité présidentielle ayant pris part à cette rencontre. Suite à cette désignation considérée comme une provocation par les opposants au chef de l’Etat sortant, ces derniers décident de mettre leur menace en exécution.
Le dimanche 26 avril, à l’appel de l’opposition et de la société civile, des milliers de burundais se déversent dans la rue de la capitale Bujumbura: c’est le début des manifestations de protestation contre cette candidature jugée inacceptable. Le pouvoir burundais envoi les éléments de la police pour contenir les manifestants. Face à une population déterminée à envahir le centre ville de la capitale, la police se sentant débordée fait usage de la force. La manifestation se transforme en affrontement, informe Rfi.
Pour enrayer les protestations, le pouvoir burundais arrête des centaines de personnes. Parmi elles se trouvent Pierre-Claver Mbonimpa, une figure de la société civile, président de la principale organisation de défense des droits de l’Homme du Burundi, qui avait appelé la population à descendre dans la rue. En même temps qu’il ferme la RPA (Radio publique africaine), une radio indépendante, la plus écoutée du pays, qu’elles accusent de relayer les appels à manifester.
Le mardi 28 avril, troisième jour de manifestations contre la candidature du chef de l’Etat à la présidentielle du 26 juin 2015. La police vient de tirer à balle réelle sur les manifestants faisant trois morts, rapporte Rfi. Mais, Nkuruziza fait savoir qu’il ne renoncera pas à briguer un troisième mandat. Son entourage persiste et signe : « On ne recule pas, ça c’est hors de question », déclare à l’AFP Willy Nyamitwe, son porte-parole et conseiller en communication, qui qualifie les manifestants « des gens qui ne veulent tout simplement pas aller aux élections parce qu’ils ont peur des élections ». Il poursuit que: « Le parti au pouvoir, dans un processus démocratique, avait le droit de présenter son candidat à la présidentielle de 2015 comme tous les autres partis. Nous devons aller aux élections. C’est le peuple qui doit trancher. »
Le même mardi 28 avril, Pierre-Claver Mbonimpa est libéré. Il explique à France 24 que: « Pour que ce mouvement arrête, il faut que le président se prononce et qu’il abandonne le troisième mandat », tout en précisant avec insistance que la population est « déterminée » à empêcher Nkuruziza de se représenter à la prochaine élection présidentielle. Entre-temps, un autre mandat d’arrêt est émis contre Vital Nshimirimana, principal organisateur au sein de la société civile de la campagne anti-Nkurunziza, désormais dans la clandestinité mais qui, dans un entretien téléphonique à l’AFP, promet de continuer à se mobiliser contre le régime.
Le bras de fer s’enracine entre les deux camps – Signe que la situation ne semble pas près de se débloquer. Les manifestations continuent et la police est toujours aussi présente pour anéantir le mouvement, mais sans succès. Chaque jour qui passe, les manifestations s’enfoncent dans la violence entre les opposants au troisième mandat de Nkuruziza et la police. L’armée présente dans les rues de la capitale affiche la neutralité jusque là. Par moment elle s’interpose entre les manifestants et la police, pour empêcher les heurts. Cette position de l’armée n’enchante pas du tout la police qui veut en découdre avec les manifestants souvent surexcités. Il s’ensuit des tentions entre les éléments de ces deux corps de défense et de la sécurité burundaise. Ce qui entrainerait la mort d’un militaire par un tir d’un policier le mercredi 20 mai.
Vu que la situation est loin de se calmer, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, décide de dépêcher à Bujumbura, la capitale du Burundi, son envoyé spécial pour la région des Grands lacs, Said Djinnit. Objectif: mener des « consultations avec le président Nkurunziza et d’autres autorités gouvernementales, avec les dirigeants de partis politiques et les membres de la communauté diplomatique ». C’est une mission délicate tant les différents camps paraissent peu disposés au dialogue. Au même moment, les autorités burundaises, interdisent tout rassemblement, qualifiant les manifestations de « soulèvements ».
Alors que les heurts ont déjà fait 17 morts, l’ONU indique que, plus de 35 000 Burundais se sont réfugiés dans les pays voisins comme, le Rwanda, la Tanzanie et la République Démocratique du Congo (RDC).
Les partisans du président s’en mêlent. Des Imbonerakure, les jeunes du parti au pouvoir, accusés d’intimider les opposants à Nkurunziza, sont pris pour cible par les manifestants au quartier de Kinama, au nord de Bujumbura, selon la Rfi. Les protestateurs accusent aussi la police de protéger les Imbonerakure, qualifiés de « milices » du pouvoir par l’ONU. La police a alors ouvert le feu sur les manifestants, tuant l’un d’eux.
Le lundi 04 mai, Sylvère Nimpagaritse, vice-président de la Cour constitution burundaise fuit le pays. Motif : menace de mort à son endroit du fait qu’il a refusé de signer une décision « incorrecte » selon lui, permettant à M. Nkuruziza de briguer le mandat à problème. Joint par Rfi peu avant son départ en exil il confie : « Je crois que vous le sentez même quand je m’exprime. J’ai peur. J’ai peur puisqu’ils commencent à me menacer avec des coups de téléphone. Ils me disent que je vais assumer et que j’engage ma vie et celle de ma famille ». Et d’affirmer : « En mon âme et conscience, j’ai décidé de ne pas apposer ma signature sur une décision qui est imposée de l’extérieur, qui n’a rien de juridique ».
Le 05 mai, la Cour constitutionnelle rend l’arrêt en déclarant recevable la requête déposée par 14 sénateurs. Elle estime que « le flou entretenu dans l’article 302 a ouvert la possibilité d’un troisième mandat pour le président, que son premier mandat était un mandat spécial. En 2010, Pierre Nkurunziza est élu pour la première fois au suffrage universel ». Les juges estiment donc qu’il a le droit à un deuxième mandat avec le même mode de scrutin.
Le jeudi 7 mai, poussée par la dégradation de la situation, la présidente de la Commission de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, sort de son silence. « L’environnement n’est pas propice à une élection. On ne peut pas aller dans un pays, rencontrer des réfugiés qui fuient, et dire, nous allons observer les élections », déclare-t-elle dans un entretien accordé à la télévision chinoise CCTV. Et de poursuivre : « à part la Cour (constitutionnelle) burundaise, toutes les autres interprétations que nous avons de la Constitution est que (…) il ne devrait pas y avoir de troisième mandat ». Avant de lancer : « De mon point de vue, s’il y a une Constitution, elle doit être respectée. S’il y a besoin de l’amender, il faut un consensus à travers tout le pays sur son amendement. Cela ne peut pas être fait unilatéralement par une partie de la population ».
Le vendredi 8 mai, le président burundais Pierre Nkurunziza dépose sa candidature au scrutin présidentiel du 26 juin. Sourd à la protestation de la rue et à la pression internationale pour qu’il renonce à un troisième mandat jugé inconstitutionnel par ses adversaires et une grande partie de la communauté internationale. A la même occasion il promet que les manifestations commencées le 26 avril, et devenues une « insurrection » selon lui, seraient « maîtrisées d’ici peu ».
Le même vendredi 8 mai, le président rwandais, Paul Kagame a eu des mots justes pour critiquer l’attitude de son voisin burundais. « Si vos propres concitoyens vous disent: nous ne voulons pas que vous fassiez ça ou que vous nous dirigiez, peut-être sont-ils en train de dire que vous n’avez pas fait assez pour eux », a-t-il déclaré lors d’un symposium organisé par l’université de Saint-Gall, en Suisse. « Comment pouvez-vous alors dire: “je reste, que vous vouliez de moi ou non’’? C’est un problème très sérieux », poursuit-il.
La crise entre dans sa troisième semaine. Elle réveille la communauté des Etats de l’Afrique de l’Est qui convoque un sommet extraordinaire sur la situation au Burundi dans la capitale tanzanienne pour le 13 mai. Une rencontre qui ne se tiendra pas dans le format prévu, suite à la tentative d’un coup d’Etat organisé à la même date.
Et le putsch s’invita
Le mercredi 13 mai, alors que Pierre Nkuruziza est dans la capitale tanzanienne où il doit participer au sommet extraordinaire de la Communauté Est-africaine sur la crise dans son pays, le général Godefroid Niyombaré annonce sur une radio privée la destitution du président burundais. « Monsieur Nkururiza Pierre, président de la République du Burundi est destitué de ses fonctions dès ce jour, le gouvernement et l’Assemblée Nationale sont dissouts. Tous les ministres sont demis de leurs fonctions, et les secrétaires généraux des ministères de la République doivent expédier désormais les affaires courantes…». La déclaration fait immédiatement le tour des medias internationaux. Surprise générale. C’est un coup d’Etat !
En ce moment là, le président Nkuruziza vient de quitter la Tanzanie et tente de regagner la capitale burundaise Bujumbura. La tension monte au Burundi et les militaires loyalistes se positionnent autour de la Radio télévision nationale burundaise. Le général putschiste ordonne la fermeture des frontières et de l’aéroport de Bujumbura. Selon la présidence burundaise, le coup d’Etat, mené par un groupe de militaires « mutins », a été « déjoué ». Mais le général putschiste Godefroid Niyombare affirme avoir le soutien de « beaucoup » d’officiers supérieurs de l’armée et de la police. « Je pense qu’il y a quelques cafouillages, je pense que demain va s’éclaircir », a ajouté ce dernier sur France 24. L’avion de Nkurunziza ne va pas atterrir à l’aéroport de Bujumbura. Il reste bloqué en Tanzanie.
Tout à coup, la RPA qui avait été fermée par le pouvoir, deux semaines avant, recommence à émettre. Elle transmet en direct ce qui se passe dans la ville. Avec elle, toutes les autres radios privées qui ne pouvaient plus diffuser leurs programmes en dehors de la capitale – Leur couverture étant restreinte par le pouvoir. Elles arrosent à nouveau tout le territoire national.
Les rues de Bujumbura sont prises d’assaut par des milliers de burundais poussant des cris de joie et de liesse. Ils viennent de pénétrer le centre ville de la capitale, escortés par les militaires, certains aux côtés des soldats sur leurs chars de combat. Ils se dirigent vers la Radio télévision publique du pays où ils ne parviendront pas à envahir le lieu, repoussés violemment par les militaires loyalistes. Au soir, la capitale est calme. Mais il est difficile de savoir qui des militaires restés fidèles au pouvoir et des putschistes contrôlent réellement la situation.
Le jeudi 14 mai, les habitants de Bujumbura sont réveillés par des tirs. Ils s’affrontent, les deux camps, désormais rivaux, qui se disputent le contrôle de la Radio télévision nationale burundaise: preuve que les négociations engagées entre leurs différents chefs n’ont pas abouties. Quelques heures plus tard, dans la journée, le numéro deux des putschistes déclare à la presse : « nous avons échoué le coup d’Etat ». Et au général Niyombare, le chef de fil, d’annoncer leur reddition. Les manifestants-opposants au régime sont déçus. La peur change de camps ! La chasse à l’homme commence : trois généraux ainsi que des hommes de rang ayant pris part à l’initiative sont arrêtés par la police. Mais leur chef est introuvable.
Certaines radios indépendantes du Burundi, dont la très populaire RPA, et la principale télévision indépendante du pays n’emettent plus. Elles ont été attaquées dans la nuit de mercredi à jeudi par des partisans du président. C’est une tentative du pouvoir pour « museler l’opposition », confirme un journaliste burundais, rapporte le monde.
Pourquoi le coup d’Etat a échoué ?
D’un premier entendement l’on peut dire sans calcul que le rapport des forces a penché du côté de militaires loyalistes. Cette affirmation réconforte les déclarations de la présidence burundaise par le biais du conseiller en communication du Président Pierre Nkuruziza : « les militaires loyalistes ont déjoués la tentative du coup d’Etat ». Néanmoins, d’autres hypothèse sont à examiner: la trahison ou la pression internationale auraient jouées en faveur du camp présidentiel.
D’abord la trahison : Le déroulement des événements entre la déclaration de la destitution du président Nkuruziza par le général Niyombare chef des putschistes, et celle d’un autre général le numéro deux des putschistes confirmant qu’ils ont «échoués » leur initiative, laisse penser que l’un d’entre les membres de leur équipe aurait vendu la mèche. L’on se souviendra que le soir de l’annonce du coup d’Etat et après le jeu de « ping-pong » verbal entre les putschistes et la présidence de la République (les premiers confirmant le « contrôle de la situation » et le ralliement des « plusieurs troupes », la seconde affirmant que le coup d’Etat a été « déjoué »), une source proche des militaires loyalistes confirmait à la BBC que les négociations étaient en cours entre les deux camps afin d’harmoniser les points de vue. Il affirmait d’ailleurs qu’elles sont « avancées ». A la grande surprise de tous, le lendemain matin, ce sont les affrontements entre les deux camps se disputant les installations de la radio télévision publique. Quelques heures après, les putschistes annoncent l’échec ainsi que leur reddition. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans l’opération, et surtout dans les négociations qui semblaient déjà « avancées » en faveur de putschistes ? Le ministre de la défense qui était cité proche du coup se déclare fidèle au président. C’est le cas pour le chef d’Etat major général qui, la veille négociait des garanties de sécurité en faveur de militaires restés loyaux à Nkuruziza, selon le correspondant de Rfi au Burundi.
Peut-être qu’ils ne se seraient pas entendus sur le partage des postes dans la gestion du pays après le coup d’Etat. Ce qui aurait amené le chef d’Etat major général à une marche arrière. Soit, le chef de l’armée burundaise était dans le coup en même temps qu’il jouait un double jeu en faveur de Nkuruziza. Cette dernière thèse est soutenue par Gratien Rukindikiza dans son article intitulé : « Voici comment Godefroid Niyombare a été trahit par Prime Niyongabo », publié le 15 mai 2015 dans Burundinews. En effet, l’auteur de l’article révèle que « Avant même le début des manifestations, Burundinews (son journal) avait des informations de préparation de coup d’Etat. Depuis le début des manifestations, le nom du futur Président était déjà connu. Le général major Niyombare le cachait à peine. Le pouvoir l’a su et a infiltré les préparatifs du général Niyombare. Le chef d’Etat major Prime Niyongabo a rejoint le mouvement après avoir été “convaincu” par Niyombare. Cependant, Prime Niyongabo renseignait le Président Nkurunziza sur ces préparatifs. Le ministre de la défense, le général Gaciyubwenge, a rejoint aussi le mouvement quand il a compris que Prime Niyongabo en faisait partie.
Le chef d’état major Prime Niyongabo a été un gage de réussite du mouvement. Le jour du coup d’Etat n’était pas encore déterminé. Prime Niyongabo attendait le feu vert du Président Nkurunziza pour déclencher le coup d’Etat contre Nkurunziza lui-même. Ainsi, Nkurunziza devenait le patron des putschistes même si les autres n’étaient pas au courant. Le général major Cyrille Ndayirukiye et les autres ont suivi le mouvement parce que la présence du ministre de la défense et le chef d’Etat major rassurait et était synonyme de réussite…». De même, Domitien Ndayizeye, ancien président du Burundi et candidat à la présidentielle du 16 juin a expliqué à Rfi le lundi 18 mai que : « soit le coup d’état était un montage du pouvoir, soit l’un des organisateurs du putsch avait trahit ses pairs ». Rumeur ou réalité?
En second lieu, la pression internationale: la nouvelle du putsch semble être une surprise pour quasiment toute la communauté internationale. Même si celle-ci (la communauté internationale) n’a cessez de tenter de persuader le président Nkurunziza à ne pas se représenter pour la troisième fois. Ces condamnations et pressions exercées sur le chef de l’Etat burundais sortant auraient encouragé les organisateurs du putsch à passer à l’acte. Mais, hélas! Quelques heures après l’exécution de leur plan, les déclarations contre l’initiative fusent de partout :
La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, appelle à la « retenue et à éviter la violence », souhaitant des élections « crédibles », tout en demandant à toutes les forces politiques de « respecter les principes des accords d’Arusha » conclus en 2000 pour sortir le pays de la guerre civile.
Le jeudi 14 mai, les Etats-Unis d’Amérique déclarent que Pierre Nkurunziza reste le président « légitime » du Burundi. Répondant à la question sur le sort du président burundais bloqué en Tanzanie, Jeffrey Rathke, le porte-parole du département d’Etat déclare : « Nous le reconnaissons comme le président légitime ».
Pour sa part, le Conseil de sécurité de l’ONU et Ban Ki-moon condamne la tentative de putsch. Le secrétaire général de l’ONU exhorte « au calme et à la retenue ».
La Maison Blanche, elle, appelle à « déposer les armes ». Les chefs d’Etat de la Communauté de l’Afrique de l’est condamnent, à leur tour, « le coup d’Etat ».
Toutes ces déclarations de soutien tacite au régime Nkurunziza ne pouvaient que réconforter les soldats pro-pouvoir, en même-temps qu’elles devaient créer un sentiment de peur dans le camp des putschistes. Ces derniers (les putschistes) croyaient donner une réponse favorable à la volonté des milliers de burundais et de la communauté internationale de voir Nkurunziza en dehors de la course à la présidence – Ils pensaient que leur action allait trouver miséricorde aux yeux des grandes puissances qui peinaient à convaincre le candidat du CNDD-FDD afin qu’il abandonne son projet de troisième mandat. Malheureusement pour eux, ces grandes puissances ont manifesté une position qui frise l’ « hypocrisie ». De quoi décevoir les burundais et un grand nombre d’africains qui se sont déchainés dans les medias sociaux pour soutenir ce coup d’Etat qu’ils trouvaient « juste » pour le bonheur de ce pays.
L’on se souviendra aussi que, le général major Godefroid Niyombare, répondant aux questions de France 24 peu avant sa déclaration de leur reddition, affirmait que leur objectif était de changer de régime sans « verser le sang » de burundais.
Cela nous laisse penser que, ayant vu que la pression internationale devenait de plus en plus forte sur son camp, et que les militaires loyalistes se sentaient, pour leur part, encouragés : ce qui leur donnait les ailes à poursuivre la résistance en usant de la force. Constatant que, trois soldats venaient d’être tués dans les affrontements devant la Radio nationale burundaise, le chef des putschistes n’avait qu’un choix. Celui de prendre encore une fois, une décision risquée et dangereuse : déposer les armes et demander à ses hommes de se rendre, pour éviter la furie des puissances.
Encore faut-il mentionner que la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda a prévenu qu’elle « surveillera de près » la crise au Burundi, et qu’elle n’hésiterait pas à poursuivre tout acte de « violence massive ». Qui voudrait donc suivre Laurent Gbagbo à La Haye ? Le choix est clair.
Et après le coup d’Etat manqué ?
Les presque « sauveurs » sont arrêtés, pour la plus part. Le général commanditaire, lui est porté disparu avec un certain nombre de ses hommes. La ville-capitale est calme et maussade. Les policiers réapparaissent dans les rues de la capitale, ainsi que des militaires en patrouille. Les manifestants sont terrés chez-eux, craignant les représailles.
Ce jeudi 14 mai, au moment où les putschistes reconnaissaient leur défaite, le porte-parole et conseiller en communication du président Nkurunziza, Willy Nyamitwe, annonce que le chef de l’Etat est déjà en territoire burundais. Il est passé par sa ville natale de Ngozi, et qu’il devait rejoindre Bujumbura le lendemain. En fin de journée, le discours du président est diffusé sur la RTNB (Radio télévision nationale burundaise). « À l’occasion de ce jour mémorable, nous voulons remercier du fond du cœur les corps de défense et de sécurité pour l’efficacité et la rapidité dont ils ont fait preuve pour stopper le projet macabre de détruire les institutions démocratiquement élues », déclare-t-il.
« Nous annonçons à la population et la communauté internationale que toutes les frontières du pays sont ouvertes et sont sous bonne garde et que la vie est redevenue normale », a-t-il ajouté. Faisant un lien entre le groupe de putschistes et les manifestations d’opposants à sa candidature qu’il qualifie des « soulèvements », Pierre Nkurunziza enchaine : « Il est évident que les soulèvements en cours sont liés au groupe qui voulait renverser les institutions ». Et de demander « avec force que le soulèvement soit arrêté immédiatement et que ceux qui ont des doléances à présenter passent par la voie du dialogue et de la concertation et non par la voie de la violence ».
Le vendredi 15 mai, Pierre Nkurunziza rentre dans la capitale par route. Il est accueilli par des milliers de ses partisans. Ces derniers chantent la victoire de leur champion, et à France 24 ils promettent une présidence à vie pour leur candidat, après l’ « échec de coup d’état » qui, selon eux, « réconforte le pouvoir de Nkurunziza ».
Du côté de l’opposition on pense que, malgré l’échec du putsch, le pouvoir reste fragile. Pacifique Nininahazwe, l’un des leaders de la campagne anti-Nkurunziza écrit que, c’est en « homme humilié » que le président sortant « entrera ce soir [vendredi] dans son palais présidentiel. Il rencontrera un peuple qui a célébré sa destitution, il sait que son peuple l’a complètement désavoué, il a perdu l’image d’un président très populaire qu’il a souvent brandi ». Et d’ajouter : « Dans leur cachette et cachot, Godefroid Niyombare et Cyril Ndayirukiye [les deux généraux qui ont tenté de renverser Nkurunziza] sont des héros ».
Que pense la communauté internationale ?
Nonobstant son soutien au président Nkurunziza face aux putschistes, la communauté internationale a accentué la pression sur celui-ci, dès le lendemain de son retour au palais présidentiel de la capitale.
Le Pays-Bas et la Belgique ont suspendu leur financement du processus électoral au Burundi. Les Etats-Unis d’Amérique eux ont réitéré leur désire de voir Nkurunziza retirer sa candidature. L’Union européenne pour sa part, a suspendu sa mission d’observation électorale au Burundi.
Quand bien-même, l’Union africaine est restée comme dans ses habitudes muettes ; et la Communauté des Etats de l’Afrique de l’est qui s’est une fois de plus réunie à Addis-Abeba sur le cas du Burundi, le dimanche 31 mai, n’a fait aucune mention sur la candidature de Nkurunziza, si ce n’est que demander le report des élections législatives prévues pour le 05 juin. L’Onu, elle, poursuit les tractations pour reprendre les dialogues entre les protagonistes dans cette crise, afin de parvenir à une solution apaisée.
L’Organisation de la francophonie et la Communauté économiques des Etats de l’Afrique centrale ont envoyé leurs représentants pour discuter avec toutes les parties de la nécessité de dialoguer pour arriver aux élections paisibles et démocratiques.
Que prédire pour la suite des événements dans ce pays ?
A la lumière de la cacophonie qui règne présentement au Burundi, il est difficile de prédire avec exactitude sur un quelconque aboutissement de cette crise qui a déjà coûtée la vie à une quarantaine de personnes et des dizaines de milliers de refugiés, selon différents medias internationaux.
Toutefois, certains éléments palpables ci-haut cités combinés au non-dit nous donnent l’audace de proposer une brève analyse avec des suppositions sur une probable suite de la situation qui prévaut actuellement dans ce pays. Il s’agit notamment, des fortes pressions internationales exercées sur le pouvoir ; les démissions ainsi que la fuite du pays de deux de cinq membres de la direction de la commission électorale indépendante burundaise (leur départ fragilise les « décisions » qui pourront provenir de cette institution).
L’actualité joue en la défaveur de Pierre Nkurunziza. Plus que jamais, le président burundais n’a aussi été isolé. Pour preuve, et malgré campant sur sa volonté de briguer un troisième mandat, il manifeste déjà une certaine faiblesse. C’est le cas pour le financement des élections qui devient très difficile pour lui. Il a quand-même l’audace de demander aux burundais de mettre la main dans leur porte-monnaie afin de financer les élections : chose quasiment irréalisable ! De deux, lui et ses lieutenants ne voulaient pas entendre parler sa candidature comme l’un des sujets du dialogue entrepris par l’émissaire de Ban Ki-Moon. Mais actuellement, selon la BBC, ils se disent disposés à discuter sur cette question épineuse, qui est à la base de la forte crise qui sévit dans le pays depuis un peu plus de cinq semaines. Le dernier signe de faiblesse qui hante le camp Nkurunziza en date, c’est la décision de la Commission électorale nationale indépendante burundaise qui vient d’annoncer ce lundi 08 juin, le report de l’élection présidentielle initialement prévue pour le 26 juin, désormais repoussée au 15 juillet, selon la Rfi. Et pourtant, ce camp se disait inflexible quant au report de l’élection présidentielle, prétextant un vide juridique au delà du 26 juin.
Bien que les manifestants semblent essoufflés, Pierre Nkurunziza reste sur la sellette. Il continue de recevoir les déclarations de désaveu. La dernière déclaration en date est celle de Koffi Annan, l’ancien secrétaire générale de l’ONU qui, lui, a tout simplement demandé à Nkurunziza de « démission ». Car il a « perdu la légitimité», affirme-t-il.
En vérité, le chef de l’Etat sortant du Burundi subit doublement de pressions. Celle venant de la communauté internationale et ses opposants internes afin qu’il renonce à l’appétit du troisième mandat, et la seconde provenant de son entourage qui pose le problème de son avenir, si jamais il se retirait de la course. Sachant qu’ils ont contribué à l’aggravation de la crise – Avec la peur d’être poursuivi par celui [opposants] qui pourraient prendre le pouvoir.
En définitive, deux scenarios sont plausibles. Soit, Nkurunziza peut s’entêter, aller jusqu’au bout en organisant les élections que lui et son camp gagneront largement, avec le risque de replonger le pays dans le chaos. La communauté internationale sera en ce moment là obligée à agir vigoureusement pour réparer l’humiliation subie. Soit, il suivra la voie de la raison, et retirera sa candidature avec des probables garanties pour sa sécurité et celle de ses dépendants.
Quelques semaines nous séparant du 15 juillet, nouvelle date prévue pour l’élection présidentielle : l’équation semble être compliquée !
Qu’arrivera-t-il au Burundi ? Wait and see.