C’est un mardi soir de la fin septembre, à quelques minutes de huit heures et demie dans le centre d’Amsterdam. Je suis dans une salle avec environ 60 personnes au centre de débat De Balie. En raison du relâchement des mesures corona, c’est pour beaucoup de personnes présentes la première fois depuis un an environ qu’elles sont assises côte à côte. Sans masque de protection. Cela fait du bien et c’est aussi inhabituel.
Au programme, un épisode de la série « Our man/woman in… »(notre homme/femme à …), organisée par De Balie et le ministère des Affaires étrangères. L’épisode d’aujourd’hui : « Our man in Mali : Marchel Gerrmann ».
« Our man/woman in… » est le jargon diplomatique pour désigner l’ambassadeur en poste dans un pays étranger. Il/elle représente le gouvernement néerlandais à l’étranger. Il est à noter qu’il est de plus en plus souvent remplacé(e) par une femme de nos jours. Mais qui est le « our » (nous) dans ce cas ?
Je regarde autour de moi et ne vois que des Blancs dans la salle, à l’exception d’une jeune femme. Elle est la seule personne présente qui pourrait avoir des racines ouest-africaines ou maliennes. Je pense que c’est une occasion manquée. Maintenant, la conversation ne portera que sur le Mali et non avec le(s) Mali(ens), ce qui arrive trop souvent dans ce genre d’événements.
Tout d’abord, la parole est donnée à l’ambassadeur. Il se présente et présente son travail. Marchel Gerrmann a construit sa carrière diplomatique en Afrique. Le Mali est son quatrième poste et de loin le plus compliqué. Depuis son arrivée il y a environ un an, le pays a connu deux coups d’État. Pour un diplomate, le terrain de jeu malien semble assez complexe. Le gouvernement actuel est-il légitime ? Et qui représente le gouvernement ? Alors, à qui doit-il s’adresser ?
La politique étrangère néerlandaise au Mali est axée sur la paix, la sécurité et le développement. De nombreux intérêts contradictoires sont réunis dans ces trois domaines de la politique. Il y a des groupes djihadistes dans le nord, qui pénètrent de plus en plus vers le sud dans le centre du pays, il y a d’autres groupes militaristes (Dozo) qui combattent les djihadistes islamiques, il y a une armée malienne – pas complètement loyale à son gouvernement (civique) et pas assez forte et disciplinée pour protéger tous les citoyens de la violence des groupes djihadistes ou Dozo – et il y a des tensions ethniques à tous les niveaux de la société. Il y a également des forces militaires françaises et de l’ONU (MINUSMA) dans le pays qui tentent de protéger la population de la violence et de combattre le djihad dans le nord. Tout cela ressemble à un nœud d’intérêts inextricable. Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement malien envisage d’engager des mercenaires de la mal famée société privée russe Wagner afin de combattre l’insurrection du djihad islamique dans le nord. Selon le gouvernement, les Français et la MINUSMA ne réussissent pas à eux seuls.
Mais tout n’est pas perdu. L’ambassadeur voit une population résiliente qui n’a pas baissé les bras. Et il voit un énorme potentiel dans la jeunesse malienne, qui représente plus de la moitié de la population. C’est le lien vers l’autre invité à la table : Mirjam de Bruijn, professeur dans une université néerlandaise et directrice de la fondation Voice4Thought. Cette organisation dispose d’un vaste programme, l’Académie, qui se concentre sur la jeunesse malienne. Le programme de l’Académie relie la recherche à l’expression artistique. Les jeunes acquièrent des compétences pour analyser leur propre position dans la société et celle des autres. Les connaissances qu’ils acquièrent leur permettent de formuler leur propre opinion. Des ateliers sur le théâtre, le slamming, le blogging, le podcasting et le tournage leur donnent les moyens de rendre ces opinions publiques, de faire entendre leur voix. De Bruijn, qui mène des recherches anthropologiques au Mali depuis le début des années 90, est plus ou moins d’accord avec l’analyse de Gerrmann. La différence entre les deux est que les analyses de l’ambassadeur semblent provenir de rapports écrits par d’autres, alors que De Bruijn connaît les personnes qui sont au milieu de tous ces développements turbulents dans le Mali actuel. Certains des petits garçons dont les pères et les mères avec lesquels elle a travaillé dans les années 90 sont maintenant devenus des combattants du djihad violent. Des personnes qu’elle connaît depuis des années lui racontent comment elles ont dû fuir leur village à cause de la violence. Les histoires qu’elle entend, ou qu’elle lit sous forme de messages texte envoyés par téléphone, sont déchirantes.
Dans le nord et dans le centre du Mali, l’islam conservateur menace sérieusement la riche vie culturelle pour laquelle la région est connue. Elle perd sa beauté, sa joie. De Bruijn espère que l’ambassadeur pourra un jour faire l’expérience de la musique et de la danse en direct.
Mais il y a aussi des signes positifs. Au sein de l’Académie, de nouveaux talents se présentent. Contre vents et marées, des jeunes montrent ce qu’ils valent. De manière critique et avec fierté. De Bruijn montre un clip vidéo, enregistré quelques heures auparavant à Ségou, d’un jeune slameur Karmaa Slam (Karamoko Issouf Traoré) qui a participé à l’Académie. Son slam a impressionné le public néerlandais. C’était un message venant tout droit du cœur d’un Malien.
Donc, heureusement, au final, l’émission n’était pas entièrement sur le Mali, discutée de l’extérieur, mais aussi avec le Mali, avec une voix de l’intérieur.