De la nostalgie à un regard plutôt optimiste : L’imaginaire collectif des acteurs locaux autour du parc de Sena Oura

Les locaux déplacent leurs troupeaux de bovins à longues cornes. © Ken Doerr

Entre le 2 et le 4 octobre, trois reporters du Bon Buzz ont assisté à la conférence Agriculture, Pastoralisme et Aires Protégées : tensions et solutions pour l’avenir des territoires ruraux en Afrique Centrale et au Sahel à l’hôtel L’Amitié de N’Djamena. Suite à cette conférence, ils ont écrit un blog.

Mardi 02 Octobre 2024, l’hôtel de l’Amitié de N’djamena, ex Ledger Plazza situé sur le boulevard du président Ngarta Tombalbaye dans le huitième offre une ambiance spécifique. Dans la foulée, le couloir de la salle Toumaï est bondé des participants aux différentes catégories socioprofessionnelles. Il y a des hommes, des femmes, des blancs, des noirs, des personnes jeunes et âgées. Ce qui donne une idée sur la valeur et l’importance accordées à ce grand rendez-vous de partage. Surtout, à l’état actuel où, l’agropastoralisme et la conservation se trouvent à la croisée de chemin des changements sociaux-écologiques. Ce qui est remarquable: Les collectivités locales étaient quasi absentes de la conférence, ou du moins sous-représentées.

Cette rencontre entre chercheurs scientifiques et praticiens, en particulier les décideurs politiques des ONG et des organisations de la société civile, a permis aux parties prenantes de connaître la nature des tensions entre aires protégées et activités agropastorales au sein des écosystèmes sahéliens et soudano-guinéens. Il s’agit également de découvrir les modes de gouvernance et les innovations techniques permettant de mieux gérer les zones  d’interface entre aires protégées et espace agropastoral. A travers les différentes présentations on a compris la réalité de chaque pays relatif aux aires protégées et l’agropastoralisme; du Sénégal au Kenya, du Tchad au Cameroun sans oublier les autres pays où les différents conférenciers nous ont présentés. La réalité est là, presque similaire. Mais le comble est que, les éleveurs ainsi que les agriculteurs qui sont les acteurs clés dans cette problématique sont sous-représentés dans cette salle. Cette remarque pousse à la question de savoir : quel regard portent les populations autochtones (agropasteurs) sur les zones protégées et la conservation ?

Le parc Sena Oura

Nous nous sommes rapprochés de Foka Mapaigne (originaire de la région du Mayo Keby et rédacteur en chef de la Radio Terre Nouvelle de Pala). Participant à la conférence  pour le compte du GIZ (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit), une ONG allemande, il nous livre ses impressions relatives au cas particulier du parc national de Sena Oura. Monsieur Foka le fait sur la base de ses expériences sur le terrain, mais surtout en tant que fils du terroir où se localise le parc national Sena Oura. Il nous fait voyager dans l’imaginaire collectif des acteurs locaux autour du parc national de Sena Oura.

La Sena Oura est une initiative locale située au sud-ouest du Tchad et partage sa frontière avec le parc de Bouba Ndjida au Cameroun. Ensemble, ils forment le complexe binational Sena Oura-Bouba Ndjida. « Ce sont les villageois eux-mêmes, qui ont décidé de réserver un espace pour qu’on puisse conserver. Mais alors que les ressources de la région se raréfient, les villageois continuent d’entrer dans le parc. «  Les gens ont pris conscience de la disparition des ressources, les gens viennent, ils détruisent, il y a l’orpaillage qui s’installe donc il  faudrait sauvegarder ».

Changer l’image

Foka poursuit en disant que depuis que la zone a été protégée, les habitants ont l’impression que le parc ne les arrange pas.  Selon lui, les habitants ne se sont pas encore habitués au fait qu’en protégeant la zone, ils ont moins de libertés. Par exemple, la chasse et la cueillette ne sont plus autorisées et les coutumes traditionnelles sur certains sites sacrés ont été abolies. Cela rend les gens nostalgiques d’une époque antérieure où ces libertés existaient.

En outre, le parc est un lieu où se trouvent de nombreuses ressources importantes pour les éleveurs, telles que les pâturages et l’eau. Les éleveurs se rendent donc de plus en plus souvent dans le parc pour exploiter ces ressources. De plus, les habitants considèrent souvent le parc comme sûr. Par exemple, un éleveur peul a récemment déclaré à Foka qu’il était facile pour ses enfants de passer un mois avec les vaches dans le parc. Pourtant, cette sécurité n’a pas été prouvée : « il y avait trois éleveurs qui sont allés dans le parc, jusqu’à 60 kilomètres à  l’intérieur et ils ont été enlevés par des ravisseurs et personne n’a suivi. C’est plusieurs jours  après que les malfrats ont fait savoir aux parents des victimes.

Mais avec l’arrivée d’un certain nombre de partenaires, Foka espère qu’il y aura un meilleur équilibre entre la conservation de la nature et les besoins des résidents locaux. « Il y a par exemple la GIZ (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit), une ONG Allemande, qui intensifie les actions dans cette zone allant dans les sens de  prise de conscience. Plusieurs villages ont été délogés vers d’autre localité, par exemple à  Koutag à Wailiga à Kouala dans la zone de Goumadji, on a fait déguerpir sinon  déloger des villageois. On est parti les créer des puits, on leur a donc donné des bétails pour la gestion des AGR (Activités Génératrices de Revenus) pour leur permettre d’oublier un tant soit peu, ce qu’ils doivent aller détruire dans le parc, oublier la chasse par exemple. C’est ça qui à changer un peu leur image vis-à-vis du parc.» Affirme-t-il.

© Jakob Seidler, GIZ

Avant de réprimer, il faut une sensibilisation

Outre le fait que davantage de mesures sont prises pour répondre aux besoins des résidents, les intrus sont également mieux traités, a déclaré Foka. Il cite en exemple la Wildlife Conservation Society (WCS), qui couvre une partie du parc et déploie régulièrement son « écho guard » pour agir contre les intrus. « C’est difficile de garder ces  hommes-là. Parce que vous allez prendre un Nomade Peul quelqu’un qui ne connaît ni l’Arabe, ni le Français peut-être c’est juste le Haoussa qu’il maîtrise, tu l’envoie à la maison. Ce dernier n’a aucune pièce d’identité, ces parents  ne savent même pas ou-ce qu’il est parti, au bout de 5 ou 6 mois peut-être un an, on le libère. »

Il faut accompagner donc des moyens techniques. Dans le comité villageois de surveillance (CVS) on recrute des chasseurs, des jeunes bergers à la protection du parc animalier contre les intrus. Ils recrutent ceux qui causent beaucoup plus de dégâts, qui sont récalcitrants, et essaient de les reconvertir. « C’est la GIZ à recruter un grand braconnier connu de la zone. On l’a formé, envoyé à l’école de fond de Garoua au Cameroun. Il est rentré nanti d’un titre avec des galons. Quitte à lui maintenant de sensibiliser les autres. Ce sont ces  moyens techniques là qu’il faut appliquer. »

Tout dernièrement, il y a également la WCS qui  a lancé un recrutement, c’est toujours dans le sens de la surveillance où ils mettent l’accent sur  des éleveurs. Surtout des jeunes éleveurs qui savent parler Français, qui peuvent bien convaincre les parents que les éleveurs sont des gens très réservés. C’est ces genres des stratégies techniques comme celles qui peuvent bien arranger le service  de conservation de ces aires protégées.

Foka lui-même a souvent participé à ce type de technique de sensibilisation. A Goumadji par exemple, un canton du département de Manay dans la zone de Gagal, ou il a mené des mobilisations en 2017 avec le défunt chef d’antenne Sidi Sare. « C’était des sensibilisations publiques. Il y avait les autorités administratives et traditionnelles, des éleveurs, des agriculteurs, tout le monde était là. Chacun parle à cœur ouvert. »

Peut-on vraiment prévenir les problèmes ?

Grâce à ces nouvelles techniques de sensibilisation, il semble que les habitants s’impliquent davantage dans la protection de la zone de conservation. Ce faisant, les habitants devraient se sentir écoutés par les partenaires de la conservation et les ONG. Cependant, Foka pense que les nouvelles techniques ne peuvent pas résoudre tous les problèmes, soulignant la persistance de l’insécurité dans la région : « … avec le phénomène d’enlèvement contre rançon dans la localité, vous pouvez même mettre un agent de sécurité derrière chaque citoyen ici, mais il y aura toujours des gens qui seront enlevés. »

Pas une seule réponse

Pour revenir à la question posée au début: quel regard portent les populations autochtones sur les zones protégées, plusieurs réponses sont possibles. Ce qui est clair, en revanche, c’est que tout le monde n’est pas convaincu de l’importance de la conservation de la faune et de la flore. Les éleveurs voient l’accès aux pâturages et à l’eau nécessaires barricadé et les agriculteurs utilisent les zones protégées pour prélever des ressources – bois et fruits et pour la chasse. Grâce à des méthodes d’éducation novatrices, les organisations de conservation espèrent améliorer le dialogue et la sensibilisation avec les résidents locaux. D’autre part, la surveillance contre les intrus améliore la sécurité dans les parcs, ce qui encourage l’utilisation furtive – une conséquence inattendue.

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