La transhumance au Tchad : Un couloir de discorde

Moutons et bovins à un point d’eau dans la région du Sahel, au nord du Burkina Faso. © Seydou Traore

Entre le 2 et le 4 octobre, trois reporters du Bon Buzz ont assisté à la conférence Agriculture, Pastoralisme et Aires Protégées : tensions et solutions pour l’avenir des territoires ruraux en Afrique Centrale et au Sahel à l’hôtel L’Amitié de N’Djamena. Suite à cette conférence, ils ont écrit un blog.

Au Tchad, principalement au sud du pays, les nerfs sont tendus quand on évoque le conflit entre éleveurs et agriculteurs. Les autorités, dans le but d’atténuer ce phénomène, balisent les couloirs de transhumance pour permettre à chaque camp de respecter son territoire. Mais dans le balisement, le malentendu ou l’ignorance de l’existence des anciens couloirs de transhumance laisse place aux spéculations selon lesquelles les autorités locales attribuent des terres agricoles aux éleveurs transhumants.

La population tchadienne est estimée à environ 13 millions d’habitants. 80% vivent en milieu rural et tirent la plupart de leur nourriture de l’élevage et de l’agriculture selon le PND (Plan National de Développement) 2017. Le Tchad est un pays sahélien à  vocation agropastorale où le secteur rural occupe une place prépondérante de par sa forte participation à l’économie nationale par  la valorisation des produits de l’élevage.

Mais avec les effets du changement climatique, les éleveurs ont changé le fusil d’épaule en adoptant une stratégie d’adaptation basée sur la transhumance afin de trouver des pâturages pour leurs bétails. Des couloirs de transhumance sont aménagés pour faire place au passage des animaux dans les zones de culture ou pour leur offrir un accès au forage, puits ou bassin d’eau. Le déplacement des troupeaux le long de ces couloirs peut affecter les récoltes des paysans. Dans leur mouvement, ces éleveurs sont confrontés aux conflits qui les lient aux agriculteurs quand leurs troupeaux dévastent les champs de ces derniers.

La naissance du conflit

D’un côté, les agriculteurs autochtones accusent les autorités de prendre illégalement leurs champs pour les donner aux éleveurs qui sont nomades. Ces autorités, dont leur rôle régalien est de trancher équitablement les problèmes, celles-ci sont accusées de prendre parti du côté des éleveurs. « Les bétails appartiennent aux hauts cadres du pays notamment les généraux de l’armée donc les autorités locales jouent en leur faveur », dit un agriculteur lors d’une conférence portant sur les conflits éleveurs-agriculteurs.

De l’autre côté, les éleveurs accusent à leur tour les agriculteurs d’élire champ dans les couloirs réservés pour le pâturage. Cette situation crée des tensions allant du simple au pire.

De tous ces problèmes évoqués, il en résulte un manque de communication et de sensibilisation autour des couloirs de transhumance. Comment ces couloirs sont-ils balisés ? Quelles sont les règles quand on parle des couloirs de transhumance ?

S’inscrivant dans cette logique pour favoriser  une  pratique d’élevage  pastoral en zone sahélienne avec le moins de conflits  possibles, le Programme de Renforcement de l’Élevage Pastoral (PREPAS) a mis en place une gestion fine d’accès aux ressources  naturelles (eau, pâturage et terre). Cette action a consisté à baliser les couloirs de transhumance servant de pistes de transit et de voie d’accès aux ressources stratégiques (pâturage et eau) des animaux (Ali Brahim Béchir, 2023).

Mieux connaître le processus des couloirs de transhumance

Pour baliser un couloir de transhumance, il y a une démarche pour sa matérialisation. Ainsi, les projets et programmes ont mis des mécanismes pour pallier les problèmes liés aux conflits relatifs aux couloirs de transhumance. Selon le Pr Ali Brahim Béchir, agropastoraliste et conseiller technique national auprès de PREPAS, « on ne balise pas un couloir mais un tronçon. Cela peut être 100 mètres ou 3 km, peut-être 10 km, mais dans des zones où y’a l’agriculture et que les couloirs sont menacés. »

Le balisage des couloirs de transhumance se fait généralement en présence des agriculteurs, des éleveurs, des autorités administratives, traditionnelles et des techniciens qui se retrouvent pour se concerter. « Quand on dit baliser les couloirs, c’est pas créer. Les couloirs existent depuis des années, depuis que le Tchad est Tchad, » lâche l’agropastoraliste. Si le processus est tel, pourquoi tant de conflits et de mésententes autour des couloirs de transhumance ?

La démographie est à prendre en compte

Vu l’évolution du point de vue démographique et environnemental, la situation est telle que les couloirs commencent à être envahis par les cultures parce que le nombre de la population a augmenté. Et les besoins aussi.

Un autre facteur : là où les animaux passent, le sol reçoit de la fumure à partir de la bouse des vaches et autres. C’est ce qui fait que les sédentaires agriculteurs sont attirés par ces terres qui étaient, jadis, pauvres. L’occupation de ces couloirs de transhumance par les agriculteurs sédentaires crée un conflit entre ces derniers et les éleveurs transhumants.

L’autre raison évoquée par le Pr Ali Brahim Béchir est qu’étant donné que le Tchad est un pays qui a subi des conflits, certains couloirs ont été abandonnés par les transhumants à cause de l’insécurité pendant un certain temps. « Maintenant, comme la sécurité est revenue, les transhumants sont obligés de reprendre leur itinéraire. Mais quand ils sont revenus et comme on a l’habitude de le dire, la nature a horreur du vide, les agriculteurs ont semé dans ces couloirs, ce qui accentue les tensions, » informe le Pr Ali Brahim Béchir.

Que peut-on retenir ?

S’agissant des plaintes des agriculteurs, l’agropastoraliste indique que le balisage des couloirs de transhumance « réduit considérablement le nombre de cas de conflits pastoraux, mais à condition que ces pistes soient empruntées par les éleveurs. »

Toutefois, quand des conflits interviennent sur le sujet des couloirs de transhumance, il faut négocier avec les agriculteurs soit pour ouvrir, soit pour contourner et ça, c’est toujours la concertation. Mais dès l’instant où on ne consulte pas et on n’invite pas les leaders communautaires c’est de là que vient le problème, souligne le Pr Ali Brahim Béchir. 

Tout compte fait, une sensibilisation est à faire auprès des autorités locales ainsi que des leaders d’opinion dans chaque localité où il y a les couloirs de transhumance. Ces couloirs ont toujours existé, il suffit d’une sensibilisation auprès des leaders précités pour espérer atténuer les conflits éleveurs-agriculteurs liés à l’accès à la terre, sinon aux couloirs de transhumance. La sensibilisation est le mode de prévention des conflits le plus préconisé.

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