Quand éleveurs et agriculteurs vivaient en harmonie !

Boudji Momine, éleveur peul la soixantaine révolue se confie sur sa vie d’il y a plus de deux décennies au village Tagal I. Il nous plonge dans l’expérience plein d’enseignements du vécu de la cohésion sociale avec les Moussey dans ce petit village du département de la kabbia (Gounou-Gaya) dans le Mayo-Kebbi Est au sud-ouest du Tchad.

Le Tchad, de par sa répartition climatique est un pays agropastoral. L’agriculture et l’élevage emploient à eux seuls 80% de la population active. Le Nord désertique et le centre constitué des steppes est la zone des éleveurs nomades qui sont des arabes et des Goranes. Les éleveurs du Sud sont par contre des Peuls, des Haoussa qui viennent parfois du Cameroun et du Nigéria et qui se sont sédentarisés au fil du temps. La sécheresse de ces dernières décennies ont fait que ces éleveurs du Nord se déplacent avec leur bétail vers le Sud verdoyant avec ses prairies et résidus des cultures. 

Ce déplacement se solde le plus souvent par des affrontements entre les éleveurs et agriculteurs. La tendance montre qu’au Centre et au Sud ces conflits sont alarmants avec des centaines des morts et de milliers de blessés. Au Mayo-Kebbi Est, province au Sud-Ouest du Tchad (chef-lieu Bongor), les conflits sanglants dans la Kabbia notamment dans le Canton Berem (Novembre 2020) et le Canton Léo (août 2022) ont fait des pertes en vies humaines.

Comment la cohésion entre les agriculteurs et les éleveurs s’est-elle détériorée au cours de ces dernières décennies ?  

Aux sources des conflits éleveurs-agriculteurs.

Les violences agropastorales au Tchad ont des origines diverses. Elles sont occasionnées par le changement climatique dont les effets se font sentir dans le Tchad entier se traduisant par une multiplication des phénomènes météorologiques extrême, en particulier la sécheresse et les inondations. Ce dérèglement réduit les espaces de pâturage et d’abreuvage dans le Nord du pays, poussant les éleveurs à se déplacer vers le sud verdoyant propice au pâturage. Aussi, faut-il noter en priorité les préjugés et les constructions mentales des années 1970 qui résultent des tensions accumulées entre les populations sédentaires du Sud et des éleveurs nomades venant du Nord.  

Pour les agriculteurs sédentaires, les éleveurs sont des envahisseurs, ceux qui cherchent à occuper leurs terres. Ils les traitent des impolis, des violents qui ne tolèrent pas. Ils les accusent aussi de dévaster intentionnellement leurs champs.

Les éleveurs eux ont un regard méprisant sur les agriculteurs qui résultent des temps des empires du Baguirmi, du Kanem-Bornou et du Ouaddaï. Pour eux, les agriculteurs du sud sont des voleurs de bétail, des « Abits » (esclaves)

Tagal, un exemple de cohabitation éleveurs-agriculteurs à suivre.

Mardi 20 août. Le ciel est assombri par des escadrilles des nuages mouvants. Mon compagnon traducteur et moi empruntons la piste de latérite rouge qui relie Gounou-Gaya (chef-lieu du Département de la Kabbia, province du Mayo Kebbi Est) et Pala (chef-lieu de la Province du Mayo-Kebbi Oeust) au Sud-Ouest du Tchad. Nous fonçons à l’Est de Tagal I vers le Campement Peul dudit village. Les eaux pluviales ont rempli les trous sur la route formant des flaques d’eau occupant de fois toute la largeur de la route et s’étalant sur une longueur couvrant quelques mètres. Dire que la route est dégradée est un euphémisme. Nous roulons à vrai dire dans l’eau. En chemin, nous sommes doublés par le vrombissement des moteurs des motos. Nous atteignons le petit pont sur la rivière de Bereo Gamba (village distant de 3 Km de Tagal I à l’Est). Une horde des enfants poussaient des cris et sautaient dans l’eau pour la compétition à la natation sur une rivière furieuse sortie de son lie. L’eau rentre en boucle dans les petits tunnels sous le pont. Sur la rive, les femmes et quelques jeunes filles font la lessive et la vaisselle. Non loin sur un tronc d’arbre anciennement déraciné par le courant d’eau, des jeunes garçons silencieux font la pêche à la ligne. Quelques mètres après la traversée du pont, nous bifurquons à gauche. Nous longeons la rivière sur la grande route sableuse (mais damée par les eaux de pluie) qui mène au Campement des Peuls. Bravant les intempéries, des femmes, des hommes et des enfants sarclent les champs d’arachide, certains de sésame tout en transplantant les poquets manquants. Les enfants sous les cris des travailleurs conduisent les chèvres et les moutons au pâturage. 

Après quinze (15) minutes de route, nous pénétrons dans des hautes plantations de maïs portant des gros épis. À Quelques mètres au-delà, nous entrons dans une vaste cour propre. Six cases rondes construites en briques non cuites faites de terre battue et recouvertes des toits en chaume sont parfaitement alignées portes opposées à la pluie. Cinq arbres sauvages arborent la cour et lui procure d’épaisses ombres. Nous sommes accueillis par le « djabamma » des femmes qui pilaient le maïs sous les arbres. Nous garons nos modestes engins et fonçons droit devant une autre case sans porte au centre de la concession.

Un vieillard, la soixantaine révolue était couché sur une natte tressée à base des feuilles de rônier à même le sol au détriment d’un lit fait des arbustes tressés bien couvert. À notre vue, il sort et nous accueille à l’ombre de l’arbre sous lequel se trouvaient deux lits en arbustes tressés. Après être installés, il va vers une femme qui vient nous offrir aussitôt un morceau de couscous à base du riz et de farine de mil déposé dans une tasse où était versée la sauce aux feuilles réduites en poudre de baobab. Nous dégustons le plat qui selon le vieillard était destiné à remplacer du lait car les vaches sont en transhumance. Ce vieillard, habillé de « boubou » bleu-ciel, coiffé d’un bonnet blanc identique à sa chevelure, le visage ridé, le dos un peu courbé sous le poids de l’âge et les dents jaunies probablement par le cola (il ne cessait de mastiquer en notre présence) nous plonge dans sa vie. « Je m’appelle BOUDJI MOUMINE. Nous venons du Nigéria. Je suis arrivé ici (Tagal I) quand j’avais 08 ou 10 ans avant l’indépendance. » Depuis lors lui et les siens se sont sédentarisés et ont assimilés la vie des autochtones : « notre patriarche de l’époque avait demandé la terre à GUIRFOGO (Chef de village de Tagal I des années 1950). Nous sommes essentiellement des éleveurs avec des nombreuses têtes de bœufs. Avant les autochtones n’étaient pas aussi nombreux comme de nos jours. Les Moussey se déplaçaient aussi comme nous les peuls. Nous faisons éloigner le bétail en brousse, loin des champs des autochtones. Les bœufs ne reviennent qu’après les récoltes pour brouter les résidus des récoltes. La nuit, les bœufs sont mis dans l’enclos des épineux les empêchant de sortir afin qu’ils ne détruisent pas le champ. Cette immobilité de bétail permet aussi de fertiliser les champs des paysans et d’augmenter leur rendement. » 

Même si les peuls ne pratiquaient pas l’agriculture comme ils le font aujourd’hui, il n’y avait pas de souci de se nourrir. « L’éleveur et l’agriculteur faisaient la troque de leurs produits. Les éleveurs traient le lait qu’ils mettent à la disposition de leurs femmes. Elles en font du beurre et du lait caillé pour les vendre au village des Moussey. Sur place, elle peut échanger directement le lait contre les produits de l’agriculture comme le mil, l’arachide, le gombo et bien d’autres… » se souvient BOUDJI MOUMINE.    

À 67 ans, BATNA GASTON, autochtone Moussey est un des témoins de cette cohabitation pacifique. Son père fut un des autochtones à avoir des bœufs. Il a gardé les bœufs pendant 14 ans avant de devenir lui aussi éleveur et agriculteur comme son père. Aujourd’hui à la retraite et n’ayant plus de bœufs parce que tous décimés par la foudre en un temps record. Pour sa survie, il vend de l’essence pour motocyclettes au marché de Tagal I. « on a grandi avec les enfants peuls derrière les bœufs. On était des amis. On pratiquait les mêmes jeux d’enfants pendant les heures de pâturage et on se connaissait de nom. » se souvient-il. Aujourd’hui encore cette cohabitation se perpétue. On pourra voir les peuls et les Moussey ensemble au lieu de deuil, au marché, devant les puits et les femmes peules récolter les arachides ensemble avec les femmes Moussey, ce qui fait dire à BATNA GASTON que « le nom peul reste vide de sens, en réalité nous sommes tous des Moussey. » ce même constat est partagé par BOUDJI MOUMINE « aujourd’hui je cultive et les Moussey sont devenus des éleveurs. Nous sommes des frères car tous ceux qui ont un statut particulier à Tagal I ou des villages environnants sont les enfants que j’ai vus naître. »

La résolution des conflits au cœur de la cohésion sociale agriculteurs-éleveurs.

Le vivre ensemble est le résultat du bon règlement des conflits. Les Peuls et les Moussey ont vécu et continuent de vivre ensemble pas parce qu’il n’y avait pas de problèmes, mais parce qu’ils savaient résoudre leurs problèmes. 

À quelques 50 mètres du marché de Tagal I au Nord, se dessine imposante, la tête de la villa moderne au toit recouvert en tuile noire tacheté des blanc la maison du chef de village. La cour est vaste et clôturée en briques parpaings avec cependant une entrée principale sans portail. Au centre de la cour, un hangar recouvert de secko (hautes pailles tressées) meublés de plusieurs lits faits de troncs d’arbres moyens morts devenus lisses par l’usage. Dans la cour des oiseaux de basse6cour abondent, les chevreaux, les agneaux sont parqués dans un enclos en attendant leurs mères libérer au pâturage. Sous l’ombre de sa villa, allongé sur le lit pickup un homme de gabarit costaud, teint noir, les yeux arrondis dans leurs orbites, habillé de boubou blanc sans manche m’accueil, DANLHARA Gabriel. La soixantaine aussi révolue, il est chef de village Tagal I et représentant de sa Majesté le chef de Canton Tagal auprès des villages Tagal (I à VIII), Djamane (Mbarissou et Landou), Bongoro Djodomo, Teh, Balian, Goli Ham-Ham. En plus, il est l’éleveur non peul ou Haoussa qui dépasse tous les éleveurs en termes de têtes des bœufs. « Dans la société, qui endommage doit dédommager » nous confie-t-il. « Quand un champ est dévasté, le propriétaire suit la trace du troupeau jusque l’enclos. Il identifie le berger qui lui indique le propriétaire des bœufs. Cela peut être en journée ou tard le matin. Le propriétaire du champ va voir le chef qui convoque le propriétaire des bœufs. Après s’ensuit la descente au terrain pour le constat du champ. Selon la gravité du dégât, une amende proportionnelle sera infligée à l’éleveur qui accepte de tout cœur parce que pas d’injustice. » déroule le chef sur son lit pickup la main droite soutenant le poids de son buste.

GAKA MOMINE, 51 ans, représentant cantonal auprès du campement des peuls renchérit « il arrive de fois que les deux s’entendent sans intervenir un chef. S’il y a dévastation et que le berger est en même temps le propriétaire, il s’excuse du débordement et fixent en commun accord l’amende. » S’exprimant très bien en Moussey, GAKA MOMINE se plaint du moins du non-respect de couloir de transhumance qui pour lui est rétrécit par le champ. Il n’accuse pas directement les Moussey mais fait remarquer que la population a augmenté et a besoin aussi de nourriture et que les Moussey sont devenus des grands éleveurs comme eux aussi, le dépassant mêmes car beaucoup de peuls n’ont plus de bœufs et ne gardent que ceux de Moussey.

Croyant c’st un interview d’un ONG humanitaire, le représentant cantonal auprès des peuls s’exprime avec un sourire narquois en ces termes : « dites à votre ONG que nous n’avons pas de problèmes entre, nous voulons de l’eau que les couloirs soient respectés par les agriculteurs et par nous aussi. » Que cet exemple de vivre ensemble soit copié de partout pour une sincère !

Note : Ce texte est le résultat d’un atelier et peut être le premier article long de quelqu’un, il peut donc contenir des imperfections

We use cookies to give you the best experience. Privacy & cookie policy