Les tontines au-delà des clivages

« Au quartier SKANIT déchiré par un conflit, un groupe de tontine mené par Achta NGUEBLA montrent la voie de concorde »

     La polarisation au Tchad est une évidence, les gens restent crispés sur le repli identitaire, régional, religieux etc. néanmoins, il existe des facteurs qui dépolarisent et favorisent la concorde tels que la tontine. A SKANIT, un vieux quartier cosmopolite de la commune de Koundoul (située à 25Km de N’Djamena) vive regroupé des musulmans et chrétiens, des Nordistes et sudistes.  Mésententes et malentendus occasionnelles font le quotidien des habitant de ce quartier. Un jour, une dispute oppose deux jeunes (HAMRA et NGAKOUTOU) issu chacun de région et de religion différente. Cette dispute banale s’est soldée par une bagarre rangée à l’issu de laquelle, Achta NGUEBLA une dirigeante d’un groupe de tontine a fait la médiation pour concilier les protagonistes

      « Je rentrai d’un match de foot vers 18h ce jour 02 septembre 2020. Je me suis arrêté pour uriner sur le mur d’à côté en face de chez nous  Hamra sortant de chez eux m’a vue et du coup s’adresse à moi en ces termes : hey –KIRDI DA OGOD TIT BOUL.  Terme Arabe tchadien qui se traduit littéralement par (hey SARA et en plus KIRDI il faut t’assoir pour uriner). Choqué par ces injures, NGAKOUTOU a répliqué avec violence en haussant le ton : hey ABIT DA ANA RADJIL MA NAGOT TIT NI BOUL. Terme qui signifie : bande d’esclave ! je suis un homme donc pas besoin de m’assoir pour uriner).  Cette altercation a fini en bagarre et HAMRA a donné un coup de poignard à la main droite de NGAKOUTOU. Alertées par les cris d’une femme qui suivait la scène à distance, plusieurs personnes sont sorties pour voir ce qui se passe. Parmi ces personnes visiblement surpris, il y avait les membres de familles des deux protagonistes.     

De part et d’autre, chaque famille des deux protagonistes se mobilise et s’aligne derrière son fils.      

      La tension était à son comble jusqu’à ce que la police intervienne.  Après quelques tires de sommations, le calme est revenu. HAMRA est pris par la police en direction du commissariat et NGAKOUTOU est conduit à l’hôpital. Le lendemain au commissariat pour le jugement, toutes les deux parties se sont présentées avec la même ardeur et se regarde en chien de faïence. Le commissaire s’est déclaré incompétent pour concilier les deux parties. Il a voulu faire un procès-verbal pour envoyer l’affaire devant le juge. Du coup, une femme du nom ACHTA NGUEBLA a demandé au commissaire de lui accorder quelques minutes pour se concerter avec quelques femmes de part et d’autre des protagonistes avant toute délibération. « Je vous en prie mes chères sœurs et mes chères enfants, prenez courage et laisser tomber ce problème. Pensez à notre collaboration dans le quartier. Pensez surtout à notre groupe de tontine. N’est-ce pas la semaine dernière on était tous regroupés chez DENEMADJI dans une ambiance festive ? Évitons la honte s’il vous plait. » sur ces phrases, ACHTA a convaincu les deux côtés de n’est pas céder à la colère mais de mettre en valeur leur ancienneté dans le quartier et sur la base de leur groupe de tontine » selon l’OPJ NAY. Ce conflit a donné le déclic à Achta et quelques femmes de fonder une association de bon voisinage dénommé HAYA-TAL-DJAR où beaucoup de femmes du quartier y sont affilée sans distinction ethnique, religieuse et régionale.

ACHTA NGUEBLA la référence du vivre ensemble au quartier SKANIT

Depuis 4 ans, ACHTA NGUEBLA musulmane de confession et âgée de 64 est la référence du quartier SKANIT. On l’a surnommé ‘’ KON-PAREE’’ car elle fait preuve d’une personnalité qui force le respect. Chaleureuse dans la rencontre, elle s’exprime autant par le sourire que par les paroles. Cet énorme sourire qui illumine son visage d’un éclat naturel, suscite forcément de la sympathie. Elle assure la coordination de l’association HAYATALDJAR ainsi que l’administration des groupes de tontine à l’origine de la création de l’association. Elle doit ces privilèges à trois paramètres : son ancienneté dans le quartier, son charisme mais aussi son origine double. « Je suis Kenga du Guéra de mère et Mbaye de MOISALA de père.  Ma mère est musulmane et mon père est mécréant par contre, moi je suis musulmane » avoue-t-elle. ACHTA est une de ces femmes ayant un don exceptionnel capable de parler plusieurs langues pour suscité l’adhésion et la fascination d’un grand nombre de personnes car elle a vécu à Fort Lamy (actuelle N’Djamena) au quartier BOLOLO où cohabitaient plusieurs ethnies entre temps. C’est ainsi qu’elle a pu mettre sur pied un groupe de tontine qui rassemble toutes les femmes du quartier en vue de soulager un temps soit les difficultés       quotidiennes auxquelles font face les femmes du quartier. 

La Tontine au-delà de l’épargne et symbole d’unité et de solidarité entre les femmes du quartier Skanit 

Pour DJIMANKO Jérôme, fonctionnaire en retraite et par ailleurs chef de quartier que j’ai rencontré, la tontine est une forme d’épargne informel qui met en commun plusieurs personnes qui se cotisent de l’argent et le perçoivent à titre individuel par tour de rôle. Le taux de cotisation se fixe proportionnellement à la capacité financière de chacune. Ce système traditionnel d’épargne prend de l’ampleur ces dernières années dans la société tchadienne ou le taux d’instruction et de bancarisation est moins élevé. « Quand ont étaient encore en fonction entre les années 2000 et 2010, ont organisaient également des tontines dans nos lieux de service sur la base de nos salaires. Concrètement, lorsque le salaire tombe à la fin du mois, on se retrouve selon le nombre de personnes fixées au départ pour mettre ensemble une partie de salaire de chaque membre. La somme réunie est remise à la personne qui doit percevoir conformément au programme établie  dès le début du mois. Ce système a permis à beaucoup d’entre nous de pays des terrains ou de se construire des maisons. Souvent, les groupes de tontines réunissent les gens au-delà de leur appartenance socioreligieuse et catégorie professionnelle. Grace à la tontine, les membres se sentent plus rapprocher comme une famille dans laquelle joies et peines sont partagées », nous confie-t-il d’une aire nostalgique.    Au de-là de son objectif principal, la tontine constitue un facteur d’unité et de solidarité dans un contexte de polarisation tels que la société tchadienne multi-ethnique.  

Il est 15h dans la cour de Mr Haroun ce samedi au quartier Skanit où le ciel se trouve chargé des nuages. Malgré cette menace de pluie, les membres de cette Tontine que dirige Achta NGUEBLA s’obstinent visiblement à honorer ce rendez-vous très important d’après le programme établi à l’unanimité. Une ambiance inhabituelle s’installe. Des voix aiguës de femmes déchirent l’air. Des vas et viens de femmes entre la cuisine et le salon, d’autres assissent sur des nattes étalées sous le grand arbre de la cour. Beaucoup d’entre elles en confiance et débordante de joie, s’entremêlent entre les deux grands baffles qui joue de la musique à volonté. Elles sont habillées en uniforme de leur association de tontine en indigo et de couleur verte, parmi elles, on remarque quelques-unes qui ne sont pas habiller en uniforme. L’atmosphère donne l’aire d’un véritable jour de joie. Ce n’est pas un baptême qu’elles célèbrent ni un mariage, mais juste une réunion de cotisation de tontine. Sur les visages, on peut lire la joie. Joie de se retrouver ensemble, entre femme mais surtout membres de tontines. Mais aussi, joie de se cotiser. C’est sur le rythme de musique FAFANANI que ces femmes sans distinction religieuses, ethnique ou régional enflamment la soirée dans la concession de Mr Haroun. C’est le jour pour Mm Yvon NGANTA pour ‘’prendre la tontine’’. « La tontine, est un mot qui pénètre toutes les maisons, tous les bureaux, les bars, les marchés. Elle consiste à cotiser de l’argent qu’on remet à tour de rôle à un membre du groupe. On se réunie entre amis, collègues de travail, parents, voisins de maisons etc. on décide du montant et de la périodicité du versement. C’est une question de crédibilité et de bonne foi lorsqu’il faut payer à échéance la somme d’argent fixée. Et c’est aussi à ces occasions que les différends sont mis à tables et tranchés.  Pas de règlement écrite » déclare Mr Haroun Makayla de carré au quartier Skanit.

Les autres facettes de la tontine

De mes échanges avec les jeunes KLANDOMAN (mototaxi mans) du quartier SKANIT autour des bienfaits de la tontine, il ressort que de plus en plus, la tontine prend de formes diverses. Dans certains groupes, on met en place une caisse. Il s’agit en effet d’une caisse de solidarité pour venir en aide à un membre qui se retrouverait en difficulté. C’est l’exemple de ce groupe de tontine KOSGUELNA constitué d’une trentaine de jeunes moto-taximan sans distinction aucune, toutes confession confondues qui cotisent tous les quinze jour la somme de 10. 500f chacune auquel appartient Julien (un jeune âgé d’une trentaine d’années). 10000f va à celle qui prend la tontine. 300f lui sont remis en plus pour la préparation du repas à partager ensemble, et les 200F sont versés dans la caisse. Quand les membres se retrouvent, c’est une véritable fête.  « Le plus souvent, il arrive que celui ou celle dont c’est le tour de ‘’prendre la tontine’’ organise en annexe un « pari-vente ». Il invite tout le monde. A cette occasion, l’organisateur vend des boissons. Généralement à prix plus élevé que d’habitude. C’est aussi l’occasion pour les membres du groupe de lui verser leur part de cotisation. Les autres achètent simplement leur consommation. Il peut ainsi réaliser un bénéfice supplémentaire ». Affirme Julien un jeune clandoman.

Vendredi dernier, Jule MOUKAMBE, après avoir pris les dispositions pour accueillir à son Pari-Vente qui se déroule à l’alimentation « Pour la Route » (une des alimentations les plus animées de Koundoul) les membres du groupe de la tontine. Ce dernier, moto-taximan de son état, toujours souriant et courtois, fait face à ADOUM, un client un peu mal renseigner sur l’évènement.

La scène se déroule sous le regard curieux et attentif des autres clients et membre de de tontine assis autour de leurs verres en train de causer en vue de partager les peines et les joies de leurs familles et de leurs activités respectives.  

En effet, Monsieur ADOUM, conducteur des travaux publics dans la société SOLVET-TCHAD sis à Toukra dans le neuvième arrondissement de N’Djamena donne un rendez-vous dans ladite alimentation à MELOME une de ses concubines, alors vendeuse de poissons au carrefour des moto-taximan pour passer un moment ensemble. Alors que la rencontre était prévue à 14h, MELOME arrive pile à l’heure prévue. Par contre, ADOUM arrive à 16h, or le Gérant, sous la commande de cette fille, lui a servi normalement trois bières au nom dudit Monsieur. Au moment de régler sa facture qui s’élevé à 6000F pour six bouteilles consommées au total, Monsieur Adoum conteste la facture en s’interrogeant sur les raisons de l’augmentation tout azimute du prix des bières en cette journée. Vue l’ampleur de la dispute, intervient la jeune dame en ces termes pour recadrer son amant : « chéri, comme convenu hier, n’est- ce pas qu’on s’est randonné à 14H ici pour honorer au Pari-Vente de Tontine de mon amis moto taximan qui a l’habitude de me déposer ? ah !! tiens-tiens !! je me souviens déjà. Oui ! oui ! j’avais complétement oublié bébé et je m’en excuse franchement ». S’exclame ainsi ADOUM. Vers 17 heures, on voyait augmenter le nombre des jeunes. Différents accoutrements (veste, djellabas, chemises, maillots) caractérisaient le style de ces derniers qui donne leurs différentes cultures. Les boissons alcoolisées et non alcoolisées sont servies selon les commandes. C’est dans cette atmosphère de fête que Adoum rassuré, mais surtout convaincu par sa dulcinée, s’installe confortablement. Il passe ainsi un bon moment en observant la convivialité et l’ambiance déclenchée en cette circonstance particulière. (Cette scène m’ait rapporté par Moukambé un conducteur de moto taxi).

Selon ACHAT, dans d’autres groupes de tontine, on se cotise pour acheter des ustensiles de cuisine, des grandes nattes à utiliser lors des cérémonies, des sacs de ciments du mil, du savon etc.  A titre d’exemple, quelques habitant de MALO qui ont vues leurs habitations s’écrouler sous l’effet d’inondation ont créé une tontine pour se payer du ciment et matériel de construction. Cela a permis de renforcer leur murs et maison. Il y a même des tontines pour acheter des couvertures. Partout, le principe est le même. La somme d’argent rassemblée n’est pas remise en espèce à l’intéressé (e). Elle sert à acheter ce dont la tontine porte le nom : « tontine tasses », « tontine-savon », « tontine-nattes », etc. l’argent ne doit pas prendre une autre destination.

Mm ACHTA alias « KON-PARE » est désigner par le groupe. Elle fait le tour des membres pour la sensibilisation de l’objet de la tontine. Ce qui lui a permis de développer une familiarité et une grande capacité d’être écouté du fait qu’elle côtoie tout le monde sans distinction aucune dans le quartier SKANIT. C’est cette posture qui lui a permis de trouver le plus souvent un terrain d’entente lorsque surgi un conflit.  elle est  véritablement la référence dans ce quartier. Elle s’est illustrer une fois de plus au commissariat de police de Koundoul lors du conflit qui opposait NGAKOUTOU et HAMRA. Un conflit déclenché par deux jeunes de confession religieuse différente mais surtout d’origine ethnique différente.  Conflit qui a failli prendre une autre ampleur nu été l’existence des groupes de tontine à l’instar de celle que dirige Achta. « En effet, le nœud du problème est le mot KIRDI souvent employé à tort ou à travers au Tchad. Un mot qui touche à la sensibilité de certaines communautés. C’est ce qui a irrité certains jeunes du quartier SKANITE se sentant insulté par Hamra à s’aligner dans ce conflit. De l’autre côté, ceux qui sont de la même borne confessionnelle que HAMRA s’aligne derrière lui et ainsi de suite la dimension du conflit augmente » témoins ainsi Achta NGUEBLA.  Aujourd’hui, les tontines apparaissent comme une nouvelle forme de solidarité. Une solidarité basée sur la confiance, la connaissance et le respect de ses engagements. On s’y retrouve sans distinction d’origine, de région, de religion. C’est une forme d’entraide qui permet à chaque membre du groupe d’élaborer un projet et de le réaliser. Bref, c’est un véritable facteur de vivre ensemble, une valeur majeure de rassemblement et de paix.

 

Note: Ce podcast est le résultat d’un atelier et peut être la première réalisation d’une personne, il peut donc contenir des imperfections

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