L’amour au front du préjugé


Dans un Tchad où le sport féminin est mal vu, Justine une adepte de taekwondo, défie les normes en forgeant une vie et un amour épanouis avec Hassane, son mari, qui voit en elle une force d’amour et non une menace.  

Ce jeudi-là, Labarta se rendait au terrain de sport, comme elle le faisait chaque après-midi, déterminée à se préparer pour la compétition à venir. Mais ce jour-là, elle ne savait pas que sa passion pour l’athlétisme allait la confronter à un rejet brutal et injustifié. En entrant dans le petit magasin de quartier pour acheter de l’eau, elle n’avait pas imaginé que son simple maillot de sport allait déclencher un tel malaise.

Le gérant, un homme d’âge mûr, la fixa un instant, puis, d’un ton ferme l’injuriant ‘’Bordel, azaba’’, que cherches-tu ici ? Ce n’est pas le marché ‘’Mokolo’’, « amourouk » en arabe qui veut sort sur un ton impératif  refusa de lui vendre quoi que ce soit. « Ce n’est pas convenable », dit-il, en jetant un coup d’œil désapprobateur à sa tenue sportive. « Une femme en tenue de sport, dans un lieu public ? Cela ne respecte pas les principes de décence et de morale. » Les clients autour, visiblement mal à l’aise, détournèrent les yeux, comme si une transgression avait été commise.

Labarta, un instant abasourdi, sentit son cœur se serrer. Elle avait l’habitude des jugements, mais jamais auparavant cela ne s’était manifesté de manière aussi ouverte et humiliante.

Pour une couche des Tchadiens le sport, en particulier pratiqué par les femmes, est largement désapprouvé et considéré comme contraire aux valeurs traditionnelles. Pratiquer de sports comme les arts martiaux est une forme de domination, d’indépendance de la femme qui selon eux doit être inférieur à l’homme. Labarta représentait le défi contre une société qui refusait de voir les femmes autrement que comme des mères et des épouses, un rôle prédéfini.

Dans cet éclairage troublant sur les défis auxquels sont confrontées les femmes dans certaines sociétés traditionnelles, comme celle du Tchad une position où elle doit toujours être inférieur à son homme. La femme se retrouve ainsi confrontée à la pression sociale et au jugement sévère de son environnement, mettant en évidence les tensions entre les aspirations individuelles et les attentes collectives dans une société traditionnelle. Les femmes sont souvent jugées en fonction de leur capacité à être de bonnes épouses et mère.

Ce fait divers illustre bien le rejet qu’une si grande partie de la communauté accorde à la pratique du sport par les femmes.  Dans ce milieu imprégné de traditions profondes et de valeurs familiales conservatrices émerge l’histoire d’amour d’une  pratiquante de l’art martial qui est le taekwondo. Alors la force physique d’une femme peut-elle être un obstacle à un mariage ?

Notre récit raconte le parcours d’une pratiquante de taekwondo qui malgré l’opposition et les critiques trace son chemin en fondant sa famille. Justine est connue dans le quartier pour sa passion aux arts martiaux, car sur le terrain de dojo elle mettait  en difficulté les garçons qui s’opposent aux combats d’entrainement. Dans tous les combats elle sorte gagnante et personne au quartier n’ose s’approcher d’elle. Sa force de caractère et son attachement au taekwondo faisaient écho dans le quartier. Chose  inadmissible pour qu’une femme soit aussi forte physiquement que les hommes. Laoubara un ancien combattant se souvient d’une anecdote des années 1990 à Ndjamena ‘’dans notre église un homme a fait de reproche à sa femme et la femme a répliqué : Tu parles ici mais on verra bien à la maison’’. Son histoire éclaire les défis auxquels sont les femmes dite ‘’physiquement forte’’ du moins où celles pratiquantes des arts martiaux sont confrontées.

Pour Justine, être une femme dans un monde dominé par les préjugés et les attentes sociales n’est pas un obstacle, mais une motivation supplémentaire. Dans nos communautés la place de la femme ‘’C’est au foyer’’. Pour ma part l’attente de mes parents ‘’c’est rester tout le temps à la maison pour apprendre à faire les travaux ménagers’’.  Justine de préciser ‘’mes parents et mon entourage n’ont pas compris le choix de pratiquer le taekwondo’’. Pour eux l’engagement à cette discipline sportive à une éventuelle négligence des tâches ménagères  et  une remise en question des rôles traditionnels de genre. Un jour une tante me déconseille d’abandonner car les arts martiaux sont pour les hommes et des filles ‘’perdues’’. Car aucun homme n’aimerait épouser une femme qui passe tout son temps avec les autres hommes. Pour ma tante, « L’humilité, la douceur, l’assiduité au travail domestique, l’accueil, le respect aux parents et avoir le courage de se réveiller à n’importe quel moment où l’on a besoin de mon service est être au centre de mes priorités et non le sport ». Déstabiliser par les propos de ma tante, j’étais prête a abandonné mais j’ai persisté, trouvant un soutien inattendu dans celui qui allait devenir mon mari.

Pour elle, cet art martial va bien au-delà de la simple autodéfense. C’est une source d’inspiration et d’épanouissement personnel. Le taekwondo exige une pratique régulière et une concentration constante et cela se traduit dans ma vie « tout ce que je fais en dehors du taekwondo je mets du sérieux que ça soit dans la vie active où dans mes études. Chose que je ne fais pas avant ».

Malgré les préjugés et les critiques, elle a embrassé le Taekwondo, non pas pour se battre, mais pour grandir en tant qu’individu. Personnellement dit-elle le taekwondo l’aide sur le plan mental que physique et d’avoir confiance en elle. Il y a des choses que avant je ne pensais pas le faire « le fait de progresser dans les grades et surmonter les défis techniques procurent en moi un sentiment de fierté en renforçant la croyance en mes capacités personnelles ». Du dehors on peut dire de mal du taekwondo mais sur le terrain c’est autre chose, car on enseigne les valeurs fondamentales telles que le respect de l’autre, l’humilité, la courtoisie. Ces principes ont forgé un caractère et un équilibre en moi. La pratique de cet art martial m’aide dans la gestion du stress « le taekwondo m’encourage à garder mon calme et contrôler mes émotions, même dans des situations de pression ». Dans la vie il y a des situations où les tensions peuvent rapidement dégénérer à des conflits physiques ou émotionnels. Justine se souvient d’un incident personnel qui lui a permis de prendre conscience de l’impact profond que le taekwondo a sur sa vie. « Un jour, un ami du quartier et moi nous sommes retrouvés à deux doigts de nous battre. La tension était palpable et il n’a fallu qu’un petit geste pour que la situation explose. Mais, contre toute attente, j’ai réussi à me maitriser. Je n’ai pas cédé à la colère, ni à l’impulsion du moment. En réfléchissant après, je me suis rendu compte que c’était grâce à l’enseignement que j’avais reçu au dojo.  Le taekwondo ne m’a pas seulement appris des techniques de défense, mais aussi une philosophie de vie, fondée sur la maitrise de soi et la gestion des émotions ».

Tout pratiquant où pratiquante de taekwondo ne provoque pas. Elle explique que tout ce qu’on lui enseigne au dojo reste dans le cadre sportif ; en dehors, elle adopte un autre comportement et joue le rôle de femme au foyer avec dévouement. Justine insiste sur le fait que l’amour est primordial dans sa vie de couple.

Après 11 ans de mariage heureux, elle souligne que leur union est renforcée par la confiance et le respect mutuel. « A la maison il y a un climat de sécurité où chacun se sent libre de s’exprimer et  quand je passe du temps avec les autres à l’entrainement il respecte ce que je fais. Il m’écoute et prend en compte mes opinions ».

Justine  affirme qu’elle ne frappe pas son mari valorisant ainsi une relation fondée sur l’amour. En parallèle, sa fille a également embrassé le taekwondo  intégrant les valeurs de discipline et de respect que la mère transmet. La famille est unie par cette passion commune et chacun trouve dans cette pratique une source de joie et d’épanouissement.

Le taekwondo ne définit pas seulement leur manière de se battre mais aussi leur manière d’aimer et de vivre ensemble.

Hassane le mari de Justine incarne un modèle de soutien, contrairement à ceux qui redoutent la rébellion potentielle d’une femme pratiquante des arts martiaux, il a toujours encouragé Justine à poursuivre sa passion. Il a été un pilier pour elle, en lui offrant un soutien moral mais aussi financier. L’une des démonstrations les plus évidentes de cet amour inconditionnel est qu’il  ‘’accompagne sa femme au centre d’entrainement et  paie ses cautions’’. Même dans les moments de doute et de fatigue, Hassane ne la laisse pas tombe. Un souvenir marquant qu’il partage avec elle remonte à un jour où Justine, épuisée et fatiguée était prête à abandonner. Elle ne voulait plus repartir, mais son mari a su la soutenir, l’encourageant à se relever et à ne pas perdre espoir.

Face aux critiques et jugements extérieurs, Hassane est toujours là pour apporter du réconfort à Justine. Je lui rappelle « constamment que l’essentiel est mon soutien et qu’elle ne doit pas prêter attention aux avis des autres », déclare Hassane. Grace à ce soutien Justine admet « qu’elle ne se laisse pas perturber par les opinions négatives »

Au cœur du quartier, l’admiration et la stupéfaction s’entremêlent lorsqu’il est question de Justine.  Ses voisins et amis(e)s la voient comme une figure de résilience et d’engagement, une source d’inspiration pour les jeunes filles du quartier.

Un surnom qui en dit  long.

Alain, l’un de ses proches amis, appelle Justine affectueusement “déné dingam”, un terme en Ngambaye qui signifie “femme garçon”. Un surnom qui, loin de choquer, reflète l’admiration profonde qu’il porte à sa détermination et son courage. “Je l’appelle ainsi pour plaisanter avec elle, mais c’est aussi un clin d’œil à son engagement exceptionnel dans ce sport”, explique-t-il avec un sourire.

Un modèle pour les Jeunes Filles

Alain poursuit en affirmant qu’il admire profondément ce que Justine accomplit, non seulement dans sa pratique des arts martiaux, mais aussi dans son rôle de modèle pour les autres filles du quartier. “J’aimerais que d’autres filles emboîtent ses pas”, confie-t-il. Il reconnaît que dans un environnement où il est difficile de trouver un terrain d’entente sur des sujets qui sortent de l’ordinaire, Justine incarne une rupture avec les traditions et offre un nouvel exemple à suivre pour les jeunes générations féminines.

Cependant, tout le monde ne partage pas le même avis sur la place des femmes dans le sport, surtout quand il s’agit de disciplines considérées comme “viriles”. Bertrand, un autre habitant du quartier, exprime son point de vue en toute honnêteté : “Le choix du mariage appartient aux parents, pour ma part, ça serait difficile pour que mes parents acceptent ce genre de fille dans ma famille.” Ces propos mettent en lumière les défis culturels auxquels Justine et d’autres femmes dans sa situation font face. Dans de nombreuses sociétés, la pratique des arts martiaux par une femme est souvent perçue comme une transgression des normes de genre, et l’intégration de ces femmes dans des structures familiales et sociales plus traditionnelles peut s’avérer compliquée.

Briser les Barrières Mentales

Les défis auxquels Justine et Hassane sont confrontés ne sont pas uniquement  personnels, mais aussi sociaux et culturels. Les stéréotypes de genre véhiculés par la culture contribuent à façonner des perceptions erronées des femmes. L’idée selon laquelle les femmes sportives sont indisciplinées ou menaçantes persiste, alimentant  les doutes et les préoccupations de la communauté. Cependant, l’histoire de Justine et Hassane démontre que ces préjugés ne sont que des barrières mentales à surmonter, des perceptions erronées à déconstruire.

Pour eux, la pratique de cet art martial ne doit pas être un obstacle à une relation. Ils reconnaissent  qu’il n’est pas facile de suivre le chemin que le cœur dicte, se remémore son mari qui se rappelle les réticences de ses amis et de sa famille. Beaucoup lui avaient conseillé de ne pas s’engager avec elle, soulignant que la force physique de sa compagne pourrait créer des déséquilibres dans leur relation. Selon ces voix ‘’une femme ne devrait pas être fort physiquement  que son mari ’’.

Cependant, pour lui, l’amour transcende les considérations physiques. Hassane affirme que sa femme, bien que forte dans le dojo, n’a jamais laissé cette force influencer leur vie quotidienne ou leur relation amoureuse. Au contraire, il voit cette puissance comme un atout qui enrichit leur union et non comme un obstacle. Hassane sur un ton  humoristique  rappelle que même en son absence, il peut dormir sur ces deux oreilles. Pourquoi ? ‘’Par ce que ma femme avec ses connaissances et technique du taekwondo inspire le respect’’. Il plaisante en disant les enfants n’ont jamais de problèmes, car tout le monde est conscient qu’il y a ‘’une femme capable à la maison’’.

Il appelle à déconstruire les préjugés qui persistent dans les communautés soulignant que le respect ne se mesure pas à la force physique mais à la compréhension et à la complicité. Le couple continue de vivre ensemble dans l’harmonie prouvant que l’amour peut surmonter les attentes traditionnelles et promouvoir une vision plus équitable des rôles dans les relations.

Dans un milieu où les traditions et les valeurs familiales sont souvent prioritaires, le parcours  de Justine  et Hassane rappelle l’importance de suivre son cœur dans la quête du bonheur. Leur mariage est devenu un témoignage vibrant de la force de l’amour et de la détermination à forger son propre destin. En défiant les normes sociales établies, ils ont ouvert la voie à une nouvelle compréhension de la liberté individuelle et du pouvoir de l’amour pour transcender les frontières culturelles et sociales.

Les préjugés peuvent parfois tenir une image injustement il est temps de remettre en question ces stéréotypes et de célébrer la diversité des femmes dans les arts martiaux. Promouvoir une image positive et respectueuse de ces sportives peut contribuer à un changement de mentalité bénéfique pour tous.

Note : Ce texte est le résultat d’un atelier et peut être le premier article long de quelqu’un, il peut donc contenir des imperfections

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