C’est un mercredi 11 septembre 2024 après-midi sous un soleil accablant que je me rends au quartier Chagoua dans le 7e Arrondissement pour rencontrer Claudia au Quartier Général des Transformateurs, un lieu symboliquement appelé le “Balcon de l’espoir”. L’immeuble R+1 peint en bleu et jaune crème se distingue facilement avec son écriteau affichant le nom du parti.
À l’entrée du QG, je croise un groupe hétéroclite de jeunes hommes et femmes échangeant des salutations. En tant que bonne tchadienne, je serre quelques mains avant d’entrer. C’est là que je fais la connaissance de Claudia : vêtue d’une robe bleue avec des lunettes stylées et des dreadlocks évoquant une star médiatique. Elle est vice-présidente du parti et incarne l’espoir d’un changement.
Le protocole m’accueille chaleureusement et m’oriente vers le salon où j’attends son arrivée. En attendant, je suis frappée par l’atmosphère inspirante du lieu : les murs sont ornés d’écrits prônant justice et égalité. Les graffitis représentant Nelson Mandela et Martin Luther King ajoutent une dimension historique à cet espace dédié aux luttes sociales.
Les parfums variés des visiteurs flottent dans l’air tandis que j’essaie d’en apprendre davantage sur cette femme audacieuse qui défie les normes établies. Qui est vraiment Claudia ? Quelles sont ses motivations ? Et comment navigue-t-elle dans ce monde politique où chaque pas est scruté ?
La rencontre avec Claudia ne sera pas seulement celle d’une femme engagée ; elle sera également le reflet des défis auxquels font face toutes celles qui aspirent à participer activement aux instances gouvernementales au Tchad. À travers son récit de vie, nous explorerons non seulement ses luttes personnelles mais aussi celles d’une génération entière de femmes déterminées à changer leur destin malgré les obstacles socioculturels persistants.
Claudia Hoinathy est une femme déterminée et résiliente, originaire de Sarh, au Tchad. Issue d’une famille qui valorise l’éducation sans distinction de genre, elle a rapidement développé une passion pour les sciences. Après avoir obtenu son baccalauréat scientifique, elle a déménagé à N’Djaména pour poursuivre des études en biologie. Bien que son parcours ait été semé d’embûches, notamment des retards académiques et des problèmes de santé, Claudia n’a jamais abandonné son désir d’apprendre.
Elle a finalement obtenu un Brevet de Technicien Supérieur (BTS) en agro-sylvo-pastorale avec une spécialisation en environnement. Après avoir travaillé pendant onze ans dans le secteur bancaire, elle a décidé de reprendre ses études pour obtenir un master 2 en environnement.
Sur le plan politique, Claudia a rejoint un parti par hasard, attirée par la vision de développement du mouvement “Les Transformateurs”. Bien qu’elle ait initialement eu des réserves sur la politique et ses acteurs, elle a été convaincue par le président du parti et est devenue vice-présidente. Elle souligne l’importance du travail acharné pour gagner le respect dans un milieu souvent dominé par les hommes.
Claudia fait face à des défis en tant que femme dans la politique tchadienne, mais elle reste déterminée à prouver sa valeur par ses compétences et son engagement. Elle croit fermement que le respect se mérite par le travail et que les femmes doivent redoubler d’efforts pour être reconnues dans ce domaine. Sa philosophie repose sur l’idée que la rapidité et la perfection dans le travail sont essentielles pour se démarquer et réussir.
Ses collègues vice-président et président ne regrettent pas de l’avoir à leurs côtés et la respectent comme il se doit. Cependant, d’autres personnes se sentent complexées par la femme qu’elle est, une véritable force politique. Elle nous fait savoir que dans l’exercice de sa carrière, elle rencontre des hommes qui pensent qu’elle est à bout de souffle et lui proposent d’arrêter. Ce sont des questions ou suggestions qu’ils n’ont jamais osé adresser à ses collègues masculins. Ils estiment en effet que la femme est faible et s’épuise rapidement, contrairement à l’homme qui serait endurant et persévérant.
Elle souligne également le cas de certaines femmes qui trouvent qu’elle ose trop. Pour ces dernières, il serait préférable de soutenir un homme plutôt qu’une femme, même si cette dernière est tout aussi capable. Elles expriment cela en raison de leur propre incapacité à apprendre et à comprendre que toutes les femmes ne sont pas identiques. Certaines peuvent même surpasser certains hommes dans leurs compétences.
Elle conclut en affirmant qu’elle est souvent plus combattue par des femmes qui passent leur temps à questionner son niveau intellectuel, lequel a propulsé sa carrière, sans chercher à s’améliorer elles-mêmes. Elle rappelle que ces interrogations n’ont jamais été posées concernant ses collègues masculins.
Madame Claudia nous dit avec conviction que les accusations selon lesquelles certaines femmes utiliseraient leur sexe pour accéder à des postes sont non seulement infondées mais relèvent également d’une réalité bien plus complexe. La femme doit se démarquer par son travail, son intelligence et son savoir-faire, plutôt que par sa beauté.
Elle évoque l’égalité des sexes ainsi que les 30 % de postes réservés aux femmes par le gouvernement, une mesure saluée par certaines. En tant qu’ancienne observatrice extérieure au gouvernement, elle condamnait cette décision : accorder 30 % de représentation à une population féminine qui représente 52 % serait une insulte envers les femmes. Elle partage les mêmes préoccupations que celles qui réclamaient la parité.
À ce stade, ou elle a embrassé la carrière politique, elle réalise que le problème réside aussi chez certaines femmes elles-mêmes : on ne peut pas revendiquer l’égalité tout en cherchant la facilité ni accepter des excuses simplement parce qu’on est femme. Elle exprime sa surprise face aux femmes au sein de l’assemblée remerciant le chef du gouvernement pour les places accordées aux femmes ; remercier quelqu’un pour un droit légitime témoigne d’une forme d’humilité inappropriée.
De plus, elle constate que les femmes ont du mal à remplir ces 30 %, comme le montrent les élections passées : sur un effectif représentant 52 % de la population, seules 10 % étaient des candidates féminines. Pour elle, il est légitime que des décisions soient prises sans tenir compte des femmes si celles-ci ne participent pas activement au processus politique ; elles se marginalisent elles-mêmes en acceptant la place que la société leur attribue.
D’autre part, VP Claudia souligne que certaines femmes entrent en politique par suivisme, sans conviction ni compréhension claire des visions politiques de leurs leaders ; elles deviennent alors des pions utilisés pour nuire ou pour d’autres fins inavouables. Beaucoup pensent encore que les femmes n’ont rien à apporter sur le plan intellectuel ; pourtant, il existe des femmes brillantes dont le potentiel reste étouffé ou acheté au prix du silence ou de l’inaction.
Note : Ce texte est le résultat d’un atelier et peut être le premier article long de quelqu’un, il peut donc contenir des imperfections
Kelpessang Claudine, née le 09 juillet 1991 à N’Djamena est socio-anthropologue spécialisée dans l’analyse des sensibilités aux conflits. Actuellement experte junior au Centre pour la Recherche Humanitaire, un laboratoire de recherche-action fondé par un groupe de chercheurs et experts pluridisciplinaires, elle a dirigé des missions de consultance dans plusieurs provinces, dont le Moyen Chari, le Chari Baguirmi, le Ouaddai, le Wadi Fira, le Lac Tchad, le Mayo Kebbi, le Salamat, ainsi que dans les arrondissements de la ville de N’Djamena. Ces missions ont été menées avec divers partenaires et sous-traitants. Elle est passionnée par la promotion du dialogue et de la compréhension mutuelle au sein des communautés.