Au-delà des Préjugés Religieux : Une Histoire de Détermination, Résilience et d’Amour.
Le Tchad est un pays dans lequel cohabitent plusieurs religions, cultures et traditions. Dans une telle société où les traditions, la religion, et la communauté jouent un rôle prépondérant, les mariages inter-religieux demeurent un sujet délicat et souvent controversé. Au Tchad, et précisément à N’Djamena comme dans de nombreux autres villes, les différences religieuses et ethniques peuvent transformer l’union entre deux individus en un véritable parcours du combattant. Les préjugés religieux et ethniques continuent de dicter les relations, poussant de nombreux couples à faire face à des défis familiaux et sociaux. Mais pour certains, l’amour transcende ces barrières. C’est dans ce contexte que l’histoire de Nembaye et Abakar se déroulant, illustre à quel point la détermination et l’amour peuvent triompher des préjugés.
Entre confrontation et opposition parentale
Le poids des traditions et des croyances religieuses influence profondément le mariage au Tchad. À N’Djamena, capitale où se mêlent diverses religions, traditions et cultures, Nembaye et Abakar se sont rencontrés et ont développé une relation amoureuse. Nembaye, chrétienne, et Abakar, musulman, ont vu leur relation jugée négativement par leurs familles, qui la considéraient comme une aventure vouée à l’échec. Lorsque le couple a annoncé son intention de se marier, ils ont dû faire face à une forte opposition parentale, les croyances et les traditions de chaque famille semblant insurmontables. Pourtant, malgré ces obstacles, ils ont continué à se battre pour leur amour, convaincus que leur union pouvait transcender les barrières religieuses et culturelles. Leur histoire est le reflet des défis auxquels sont confrontés les couples interreligieux au Tchad, dans une société où les traditions et la religion jouent un rôle crucial dans les choix matrimoniaux.
Les parents, souvent influencés par des préjugés profonds, perçoivent ces mariages comme une menace pour la préservation des valeurs familiales et communautaires. L’opposition parentale, souvent motivée par la peur du rejet social, se manifeste par un refus catégorique de l’union. Dans la communauté de Nembaye, l’idée de se marier avec un musulman évoque des souvenirs douloureux d’insultes et de discriminations passées. « Un soir, le soleil se couchait à peine sur Ndjamena, baignant la ville dans une lumière dorée », commence Nembaye, avec un regard pensif. « J’étais assise dans la cour familiale, cherchant comment annoncer à mon père ma relation avec Abakar et notre intention de nous marier. J’avais peur de sa réaction, mais je savais qu’il fallait affronter cette conversation.» Poursuit-elle, «Ce soir-là, j’ai pris mon courage à deux mains. Je me suis approchée de lui, qui était assis, concentré sur un journal. Mon cœur battait fort, mais j’ai fini par dire : Papa, j’ai quelque chose d’important à te dire. Abakar et moi… nous sommes amoureux et nous voulons nous marier. Il a posé le journal, son regard devenant froid et dur. En colère, il s’est levé brusquement et a crié : – Avec un doum (terme utilisé par la certaines communautés du Sud pour désigner les musulmans du nord) ? Tu veux épouser un musulman ? Tu veux détruire ta vie, Nembaye ? Tu veux que notre famille devienne la honte du quartier ? Ces mêmes musulmans qui nous traitaient de abide (terme Arabe signifiant esclave), de hafine (qui sent ou infidèle) et de kirdi (terme utilisé péjorativemnt pour désigner les sudistes de mécréants), c’est avec eux que tu veux te marier ? Tu veux que tes enfants soient appelés farack (bâtard)?. Son visage était rouge de colère, et ses mots résonnaient dans la cour comme un coup de tonnerre. J’étais figée, mon courage s’était envolé face à la violence de sa réaction. Il n’y avait que mépris et peur dans ses paroles, des préjugés ethniques et religieux si ancrés qu’ils aveuglement son jugement. Je réalisais à quel point il serait difficile de faire accepter notre amour, et que la route vers notre bonheur serait semée d’obstacles. » nous confie Nembaye , pleine d’émotions. Le cri du cœur de son père ainsi que son opposition à cette union révèlent ses préjugés ethniques et religieux qui peuvent influencer les décisions familiales, empêchant l’épanouissement des sentiments de Nembaye vis-à-vis de Abakar. Pour son père, il nepère il ne sera pas question que sa fille finisse dans un tel mariage le risque de perdre ses valeurs traditionnelles et religieuses. Il y a de l’inquiétude de la part de ce dernier, qui refuse que ses futurs petits-enfants soient traités de ‘’farack’’, c’est-à-dire des enfants bâtards ou non reconnus. Ses tentatives pour expliquer à son père qu’Abakar était différent furent rapidement réduites au silence. Ce type de rejet parental est souvent basé sur des expériences historiques ou culturelles qui créent un fossé entre les familles de différentes confessions. L’hésitation des parents à accepter un mariage inter-religieux reflète leur crainte de voir leur enfant s’éloigner de leur propre tradition.
De l’autre côté, Abakar doit faire également face à la même résistance. « Mon père, fidèle à ses traditions, me rappelle que l’amour ne suffit pas toujours pour surmonter les différences, quand je lui parle de mon intention de me marier avec Nembaye, » confie-t-il. Les raisons de cette opposition sont multiples. D’une part, les parents redoutent que leurs enfants ne puissent préserver les traditions et les pratiques religieuses familiales dans un mariage inter-religieux. « Mon père craint que Nembaye ne comprenne jamais la profondeur de la foi musulmane et ne puisse élever nos enfants dans cette foi, » poursuit Abakar. « Elle ne pourra pas élever nos enfants dans la foi musulmane. Ce mariage est une erreur, déclare mon père avec gravité. », nous témoigne Abakar. D’autre part, il y a la pression sociale. Les familles craignent le jugement de la communauté. Les unions entre personnes de religions différentes sont souvent perçues comme des trahisons, à la fois religieuses et culturelles. Les parents de Nembaye et Abakar ne veulent pas que leurs enfants soient marginalisés ou mal vus par la société. Ces considérations externes, liées à l’honneur et au statut social, viennent s’ajouter aux préoccupations spirituelles. Cette opposition révèle le fossé qui sépare ces deux mondes, où chaque parent craint que l’autre religion ne compromette la foi et les valeurs de leur famille.
Résilience et détermination
Malgré l’opposition farouche de leurs parents, Nembaye et Abakar ont refusé de laisser leurs familles décider de leur avenir. Leur amour, né dans un contexte de profondes divisions religieuses et culturelles, les a poussés à défier toutes les attentes. « Moi et Nembaye avons continué à nous voir en secret, » confie Abakar, avec sourire aux lèvres. « Chaque rencontre était à la fois un moment volé et une source d’angoisse. Parfois, Nembaye se couvrait d’un foulard pour ne pas être reconnue et se glissait hors de chez elle à la tombée de la nuit pour venir me rejoindre. Moi, je l’attendais, le regard inquiet, jetant des coups d’œil nerveux autour de moi. Chaque baiser, chaque mot doux était teinté d’une angoisse palpable. ». Mais Lleur amour leur donne la force de continuer, de croire qu’ils peuvent surmonter tous les obstacles. « Les choses se sont compliquées lorsque Nembaye m’a annoncé qu’elle était enceinte, » avoue Abakar avec gravité. « Cette nouvelle a bouleversé notre monde. », « Lorsque j’ai annoncé ma grossesse à mon père, sa réaction a été immédiate et brutale, » raconte Nembaye. « Sors de cette maison immédiatement ! Tu n’es plus ma fille , hurla mon père ! incapable de tenir sa colère » m’a-t-elle confié Nembaye. Chassée par son père, Nembaye espère trouver refuge auprès d’Abakar. Cependant, la famille de ce dernier n’est pas prête à l’accueillir non plus. « arrivée, chez Abakar , à ma grande surprise sa mère me disait ‘’Tu n’as pas ta place ici dit froidement la maman d’Abakar, », déclare Nembaye. Par la suite, elle se se retrouve alors sans soutien, rejetée par les deux familles.
Malgré la douleur et l’incertitude, Abakar refuse d’abandonner Nembaye. Ensemble, ils décident de fuir, loin de leurs familles qui désapprouvent leur union. Chaque jour est un défi, marqué par la peur de l’avenir et les doutes incessants, mais leur amour reste leur force, les unissant contre les épreuves. Les jours passent, difficiles et incertains, mais Nembaye et Abakar tiennent bon. Leurs familles continuent de mettre la pression, espérant les voir renoncer à cette relation jugée impossible. Mais rien ne semble pouvoir briser leur détermination. Année après année, ils persistent, refusant de céder aux normes sociales et religieuses qui les séparent. Avec le temps, leur patience et leur amour finissent par vaincre. « Après des années de résistance, nos familles ont finalement accepté notre union, » déclare Abakar, la voix remplie d’émotion. Leur lutte n’a pas été vaine.
Aujourd’hui, Nembaye et Abakar mènent une vie paisible à Bongor. Leurs trois enfants, nés de cet amour solide, représentent la victoire de leur résilience. Ils incarnent un pont entre deux cultures et religions autrefois en conflit, mais désormais réunies dans l’harmonie.
Perceptions de l’entourage de Nembaye et Abakar
Le mariage entre Nembaye et Aabakar n’a laissé personne indifférent. Leur encourage a également son mot à dire ainsi que ses points de vue vis-à-vis de ce mariage. Leur couple qui est issu d’un mariage inter-religieux, un mariage qui est vu dans sa généralité par la société tchadienne comme un interdit, a suscité et continue de susciter des avis partagés parmi leur entourage. Les voisins, amis, et même certains membres de la famille élargie ont regardé cette union entre Nembaye et Abakar avec une méfiance initiale, souvent influencée par les préjugés religieux. Cependant, au fil du temps, lorsque Nembaye et Abakar ont réussi à prouver que leur amour est solide et qu’ils sont parvenus à maintenir un équilibre entre leurs deux religions, malgré les préjugés de leurs parents et leur entourage, les perceptions ont évolué. « Au début, tout le monde nous regardait comme si nous étions des rebelles ou une malédiction, » se souvient Abakar. « Mais maintenant, nos voisins et nos amis voient que notre mariage est basé sur le respect. Ils nous considèrent comme un exemple de tolérance. Certains jeunes affirment vouloir suivre notre exemple, mais ils sont encore freinés par la peur.»
Leur entourage au départ, qui critiquait cette union a fini par reconnaître la force de leur amour et la solidité de leur famille. « J’avais des doutes au début de leur relation », confie un voisin, « mais ils ont montré que l’amour peut vaincre même les traditions les plus rigides ».
L’histoire de ce couple montre que l’amour et la persévérance peuvent vaincre les préjugés les plus enracinés. «Après des années de lutte, nous avons fini par accepter leur union, réalisant que leur amour est plus fort que les différences religieuses. Abakar a fini par nous apporté la dot de Nembaye, chose qu’au début j’ai tant réclamée.» témoigne la mère de Nembaye avec une touche humoristique. Ils s’installent à Bongor et élèvent leurs trois enfants dans le respect des deux religions : les deux garçons suivent la foi musulmane de leur père, tandis que la fille benjamine accompagne sa mère à l’église catholique. Cette coexistence des deux religions dans une même famille est un exemple de tolérance et de respect mutuel.
« Abakar et Nembaye ont reçu ce challenge parce qu’ils ont un esprit ouvert.», nous affirme l’un des cousins que j’ai croisé à Bongor, « Abakar était depuis longtemps très différent de nous et très ouvert. Je ne sais pas si cela est dû à ses études qu’il a poursuivies ailleurs il a un bon sens de communication, et du respect pour tout le monde. Ce sont toutes ses qualités là qui lui ont valu peut-être la réussite de ce mariage à risque.», renchérit son cousin. Ils ont trouvé un équilibre qui permet à leurs enfants de grandir dans un environnement de tolérance. Leur vie, et leur différence religieuse ont été une source d’enrichissement culturel et non un obstacle à l’amour.
Les mariages interreligieux bien que difficiles, peuvent parfois être une occasion de réunir deux communautés ou deux groupes qui par le passé étaient divisés. Le récit de Nembaye et Abakar est une illustration vivante que malgré les idées préconçues et l’opposition des parents, l’amour et la volonté peuvent vaincre. Mais pour arriver à une telle fin, « la tolérance, le respect des différences , le respect de culture de l’autre et la compréhension réciproque sont nécessaires pour briser les barrières et construire un pont entre nos cultures et religions.», confie sereinement pasteur Madjitoloum Olivier. Cet exemple de cohabitation des croyances peut inspirer toute une société tchadienne qui est en plein changement, où les traditions restes fortes où également l’acceptation des différences devient de plus en plus crucial pour construire un avenir commun.
Note : Ce texte est le résultat d’un atelier et peut être le premier article long de quelqu’un, il peut donc contenir des imperfections
Mbaiadjim Alain Saint-Pierre vient de N’Djamena, au Tchad. Titulaire d’une maîtrise en littérature française de l’université de Maroua, il a toujours été fasciné par le pouvoir des mots et leur capacité à toucher les cœurs. Ses centres d’intérêt incluent la création digitale, le slam, la poésie et l’écriture, qu’il considère comme une véritable thérapie et un moyen d’expression libre. Initialement slameur, l’écriture lui permet de transformer ses émotions, ses luttes et ses rêves en œuvres qui inspirent et éveillent la réflexion. Ce besoin de partager et de créer est ce qui le motive à écrire et à explorer de nouvelles formes narratives.