[disclaimer-fr]Les moins de 1000 rapatriés rastafaris vivant à Shashemene en Ethiopie, la Mecque des rastafaris, ont abandonné leur vie dans les pays développés et sont rapatriés pour vivre dans les villages d’Ethiopie, alors que des centaines de milliers d’Ethiopiens migrent illégalement vers l’Europe. Ils ont inversé la migration Sud-Nord vers le Nord-Sud. Alors que les Rastafari insistent pour que l’Éthiopie soit leur patrie, ils sont perçus comme des étrangers. Leur rapatriement s’est heurté à la crise du nationalisme et de la citoyenneté de l’Éthiopie. Étonnamment, en dépit des difficultés, ils continuent à considérer l’Éthiopie comme leur patrie. En essayant de savoir pourquoi les rapatriés rastafaris, qui appellent l’Éthiopie la Terre promise et qui transmettent ce message au monde par le biais de la musique reggae, sont maltraités en Éthiopie – une quête catalysée par l’expérience personnelle – j’ai été amené à diriger cette recherche.
Beyecha, Mahlet Ayele. “The Rastafari in Ethiopia: Challenges and Paradoxes of Belonging.” (lien vers le dépôt de l’université de Leyde)
Au départ, les recherches ont supposé que les rapatriés rastafaris en Éthiopie étaient confrontés à des défis en matière d’expression culturelle, par exemple le port de dreadlocks, l’utilisation de la marijuana, la liberté religieuse et la langue. Elle a également fait valoir que la cause profonde des difficultés rencontrées par les rapatriés en Éthiopie est l’absence de reconnaissance de la communauté par le gouvernement. Bien que ces hypothèses ne soient pas fausses, l’étude empirique a prouvé qu’il y avait plus que cela. Après des mois de recherche, tout en transcrivant certaines des données enregistrées, je savais que je devais me concentrer non seulement sur les défis en termes d’expression culturelle des Rastafari, mais aussi sur leurs confrontations quotidiennes qui ne cessaient d’apparaître pendant la collecte des données et, plus important encore, sur ce qui motive leur endurance en tant que Rastafari en dépit d’une myriade de difficultés auxquelles ils sont confrontés quotidiennement (la photo ci-dessous montre une décharge à Shashemene).
Ma décision d’utiliser des preuves visibles en plus des textes a été prise parce que cela permettait de projeter la voix des rapatriés rastafaris et, par ce biais, de combler le fossé entre le chercheur et le militant qui est en moi. En outre, le film, coloré et vibrant (-ness), a été utilisé dans le but de mettre en lumière le sens large de la culture rastafari, d’analyser le comportement tacite des participants, les expressions des normes et valeurs rastafari, et d’illustrer les attentes et les confrontations qui accompagnent leurs endurances. Après l’approbation de la thèse, on m’a offert la possibilité de travailler avec l’équipe de V4T sur le matériel cinématographique, et nous avons décidé de nous concentrer sur un certain nombre de thèmes et d’ajouter de nouvelles séquences pour inclure mes propres réflexions sur le processus de recherche. C’est ainsi qu’est né le film Sankofa : Voix des Rastafari en Éthiopie (2019).
Nous nous accrochons à Sankofa*, ce qui signifie qu’il ne faut pas oublier de regarder en arrière pour regarder notre histoire. Vous savez que l’identité compte autant qu’elle n’a pas d’importance. Où que vous soyez, n’oubliez pas qui vous êtes.
Extrait de l’interview de Mama (Dr) Desta, Addis-Abeba, décembre 2017. Sankofa est un mot de la langue twi du Ghana. Il signifie “Retourne le chercher”. L’analyse morphologique du mot est la suivante : san – “retourner” ; ko – “aller” ; fa – “chercher, chercher et prendre”. Le mot fait également référence au symbole de l’Asante Adinkra représenté soit par une forme de cœur stylisée, soit par un oiseau dont la tête est tournée vers l’arrière tandis que ses pieds sont tournés vers l’avant et qui porte un œuf précieux dans sa bouche. Sankofa est souvent associé à ce proverbe.
En 2020, le film original accompagnant la thèse a été à nouveau édité et combiné avec mon matériel d’interview personnel. Cela a donné le film “Les Rastafari en Éthiopie” : Les défis et les paradoxes de l’appartenance (2020). Voir la section Paradoxes de l’appartenance, dans laquelle la thèse est également abordée. Ce film devrait être projeté à la communauté rastafari d’Éthiopie et lors du prochain rassemblement rastafari de toute l’Afrique en Tanzanie, en novembre 2020, et porter sur ce qui est découvert grâce à une interaction de questions et réponses. Pour plus d’informations sur mon parcours de cinéaste, lire ma réflexion dans la section : Projeter les voix rastafari à travers le film.
Juste avant que cette publication web ne soit terminée, ma principale participante, Mama Ijahnya Christian, est décédée le 27 avril 2020. Une histoire complémentaire est incluse dans le projet en souvenir de sa transition. En tant que femme emblématique du mouvement rastafari et panafricain, j’étais heureuse d’avoir enregistré son histoire dans cette recherche et j’ai donc réalisé une vidéo spéciale de 4:23 min à partir de la collection de recherche. Voir la page : Mama Ijahnya Christian.
Ce billet fait partie d’une série. Il a été publié pour la première fois sur le site web des méthodes de recherche innovantes (mai 2020). Autres articles :
- Projeter les voix rastafari à travers un film
- Le Rastafari en Ethiopie : Défis et paradoxes de l’appartenance
- Mama Ijahnya Christian