Ce blog est basé sur une collaboration de recherche entre DDMAC (Decoding Digital Media in African regions of Conflict) et V4TA (Voice4Thought Académie).
C’est par un après-midi radieux que nous arrivons au bureau d’une ONG à Bamako, dans un quartier connu pour sa dense communauté de déplacés. Le site est tranquillement placé au milieu des rues éblouissantes où le vrombissement des moteurs se confond avec les morceaux tendance de la bibliothèque sonore de TikTok. TikTok est la raison pour laquelle nous sommes arrivés ici, pour rencontrer Abdoulaye[1] et discuter du monde du contenu illimité. Un monde qui ne passe pas inaperçu pour la plupart des Maliens.
Aabdoulaye est un Malien d’une vingtaine d’années qui se présente sous son prénom et son pseudonyme sur les réseaux sociaux. En tant que blogueur de longue date et vérificateur de faits, il a beaucoup à dire sur l’utilisation croissante de TikTok au Mali. Il évoque de manière provocante la baisse de popularité de Facebook par rapport à TikTok en termes de migration. “De plus en plus, le cerveau humain accorde plus d’attention aux vidéos qu’aux textes”, explique Abdoulaye. “Les gens ont donc commencé à migrer vers TikTok à l’époque de Covid-19. Au fil du temps, les Maliens ont commencé à se divertir sur TikTok.” Ainsi nos jeunes acteurs du réseau social TikTok au Mali remontent la popularité de cette plateforme à l’an 2020. Depuis cette date,de plus en plus de Maliens utilisent ce réseau pour diverses raisons. De moyens de divertissement à des fins professionnels, TikTok s’érige petit à petit en une large espace d’interaction entre différents acteurs de tous genres et d’âges. Compte tenu de l’utilisation massive de cet espace virtuel au Mali, il serait essentiel de s’interroger sur “la place de TikTok” dans le quotidien des Maliens. TikTok est-il donc un nouveau foyer pour les internautes maliens ? Est-ce un refuge pour ceux qui sont à la recherche de contacts sociaux, de divertissement et de communication audiovisuelle ? De quel moyen d’expression s’agit-il pour les internautes ?
Pendant cinq jours nous, Aïssa et Luca, avons cherché à comprendre TikTok en organisant un groupe de discussion et en interviewant des influenceurs, des experts des médias et des entrepreneurs du secteur. Pendant un an, nous avons été actives en tant que chercheurs et consommateurs de TikTok au Mali, en observant et en participant en ligne. Cette recherche est le fruit d’une collaboration entre DDMAC et V4TA et vise à comprendre comment les utilisateurs maliens de TikTok représentent, vivent et donnent un sens au conflit.
Danseurs et danseuses, slameurs et slameuses, compositeurs, comédiens, mannequins, sportifs, féticheurs, marabouts, analystes politiques, propagandistes et vérificateurs de faits. Une enquête menée par V4T et DDMAC en mai 2023 sur les usages de TikTok à Bougouni, Bankass, Douentza, Gao, Niono, Ségou, San et Tombouctou montre que la liste des différents participants sur TikTok est longue et ne cesse de s’allonger (voir Figure 1). La liste des différents participants sur TikTok est longue et ne cesse de s’allonger. La majorité de ces TikTokeurs sont jeunes et vivent dans les zones urbaines du Mali. Ils disposent des conditions nécessaires, comme une électricité et une connexion stable, et de la capacité financière pour acheter de la 4G. Ces deux éléments sont nécessaires, car la plateforme vidéo engloutit les données à un rythme similaire à celui des petites tasses de thé malien sucré que nous prenons rapidement pendant les interviews. L’utilisateur de smartphone paie environ 2000 CFA pour une carte Internet avec 3 Go de données. C’est cher, dans un contexte où les prix des produits de première nécessité ne cessent d’augmenter. Ainsi, TikTok est un luxe pour certains et peut exacerber les différences de classe.
Parallèlement, les Maliens moins aisés et moins instruits sont plus actifs sur TikTok que sur Facebook. Leur activité est due au format audiovisuel, qui permet aux Maliens qui ont peu ou pas d’expérience de la lecture et de l’écriture de communiquer et de consommer du contenu dans leur langues. L’interlocuteur Bakary, un blogueur travaillant pour une agence de vérification des faits, a déclaré que cela donnait aux jeunes l’autonomie et les moyens de participer et de s’exprimer. Nous rencontrons un autre TikToker avec plus de 50.000 followers dans un grin contiguë à une petite station-service. Il s’appelle Drissa. Il a commencé à travailler comme chauffeur après avoir terminé ses études secondaires. Chaque fois qu’il le peut, en général plusieurs fois par semaine, il fait le trajet en voiture entre Ségou et Bamako pour faire des TikToks avec sa grand-mère. Il dit que TikTok lui permet de discuter la vie quotidienne de ses amis au grin. Il dit : “Usé de l’humour pour sensibiliser et faire passer des messages à ses auditeurs qui sont en majorité des jeunes issues des quartiers populaires, des jeunes avec de moindre niveau d’étude ou vivants dans des situations de précarité. Spécialement, ceux qui voient en des petites addictions comme le ansul tabac, les stupéfiants, les jeux d’argents, comme un moyen d’échappatoire à leurs problèmes quotidiens.” Ces résultats montrent les effets contradictoires et complexes de l’utilisation des médias sociaux sur la vie des gens au Mali.
Au cours de ces cinq jours, nous avons réalisé l’évidence que TikTok offre de nombreuses opportunités à ceux qui parviennent à captiver l’attention du public. Ce n’est pas une tâche facile. En nous promenant dans les restaurants et sur les trottoirs de Bamako, nous constatons que les gens parcourent rapidement la page ‘For You’ à la recherche d’un divertissement. Abdoulaye explique que la première phrase d’un TikTok est essentielle pour éveiller la curiosité. En ce sens, la mise en avance des parties attrayantes du sujet à traiter dans une vidéo constitue l’une des recommandations de ce TikTokeur Malien si l’on aspire à attirer l’attention des gens sur ses contenus. De même, plusieurs autres techniques sont mises en exergue par les jeunes acteurs des réseaux sociaux pour s’attirer un grand nombre de followers. La jeune Hawa, 22 ans, une influenceuse qui est devenue active sur TikTok en 2021 et qui, depuis 2022, nous confie qu’elle arrive à atteindre son audience de plus de 40 000 personnes grâce à ses fabuleuses vidéos de danse, de maquillage, de défi et de transition. Le témoignage de cette jeune mannequin vient s’ajouter à la liste des techniques. Le timing, l’éclairage, l’emplacement, le style et la cohérence sont importants pour créer un contenu de qualité. Ainsi, face à la multiplication des créateurs de contenus sur TikTok, les jeunes TikTokers Maliens sont unanime sur le fait que ‘la créativité’ constitue un moyen efficace de se démarquer du groupe. Pour se faire connaître et être visible sur TikTok, les Maliens utilisent ces stratégies ou ont de la chance avec l’algorithme. Selon Hawa, un influenceur est quelqu’un qui a beaucoup de followers ou de vues, qui crée du contenu et qui y travaille activement. Il a la capacité d’influencer les gens. Visiblement, l’influence qu’ont ses jeunes influenceurs virtuels sur leurs publics peut aussi s’étendre sur la vie réelle de celles-ci, au point où, le conflit entre deux stars virtuels devienne aussi celui de leurs fans.
Aujourd’hui, pour faire carrière, les TikTokers collaborent avec des agences et des marques. Une économie créative a vu le jour. Cela signifie que les jeunes peuvent gagner de l’argent en faisant preuve de créativité et en réalisant des vidéos esthétiques et amusantes. Dans un contexte de hausse des prix et d’opportunités d’emploi limitées, les Maliens accueillent volontiers ce type de travail. Drissa explique comment il a commencé à recevoir 20 000 FCFA pour des publicités. Si ses clients étaient satisfaits, il recevait plus d’argent et de produits, comme des casquettes et des T-shirts. Quelques jours après notre rencontre, il a tagué Luca dans un TikTok où lui et ses amis dansent avec enthousiasme avec des boîtes de thé au son d’une chanson sur une marque de thé spécifique. Son public lui souhaite bonne chance et lui envoie une pluie d’emojis. Influencera-t-il leurs achats ?
Enfin, les influenceurs constituent une nouvelle catégorie d’acteurs dans le paysage médiatique, et ce sont surtout les jeunes qui représentent cette catégorie. Peut-on dès lors dire que nous avons affaire à la “génération des influenceurs” ? Une ère où les gens “ordinaires” peuvent devenir célèbres en produisant un contenu authentique et viral, plutôt que des célébrités nationales qui construisent leur renommée grâce à des heures de télévision ou de radio programmées, qui étaient plus dominantes dans le paysage médiatique traditionnel au Mali. Ce nouveau type de travail créatif a des implications sur les moyens de subsistance des jeunes Maliens. Comment s’organisent-ils financièrement et socialement? Gardez un œil sur notre prochain blog pour en savoir plus sur l’impact des conflits sur l’âge de la majorité des TikTokers.