Devant la mosquée Cheick Al Buhran, aux encablures du marché Médard, dans le 2ème arrondissement de la ville de Moundou, à l’annonce de l’heure de la prière par le muezzin, il est à constater l’obstruction des voies publiques. Pas que çà. Les fidèles de la cathédrale Saint Jean, du quartier Djarabé n’en font pas l’exception. Tous les dimanches, à la fin des messes, des prises de bec avec des passants se font observer, par moment, aux alentours de la Cathédrale. Ce qui irrite certains usagers en sourdine. Cependant, mieux organisés, les croyants peuvent éviter ces dégouts naissants, provoqués par l’incivisme religieux.
Vendredi 9 février 2024. Il est 12h48 minutes. Le téléphone de M. Beindé Mathias sonne. Il décroche. Au bout du fil, le surveillant général du collège Notre Dame qui l’informe d’un ton larmoyant : « Votre fille est malade. Si vous pouvez venir urgemment l’amener à l’hôpital ». M. Beindé Mathias est troublé par la nouvelle. Illico presto, il prend la clé de sa voiture, démarre en trombe en direction de l’école pour prendre sa fille et l’amener à l’hôpital. En un quart d’heure de route, il parvient franchir l’entrée du collège Notre Dame et se précipite vers le bureau du surveillant. De là, il aperçoit sa fille, couchée à même le sol en train de gémir comme femme en travail, sur le lit d’un hôpital. Pas de temps à perdre. Il faut la sauver avant que l’irréparable se produise. Grâce au concours du surveillant, il embarque sa progéniture dans sa bagnole et… Le moteur s’allume. Sur le chemin de l’hôpital, il tombe dans un embouteillage monstre. Quelle merde ! Malgré l’urgence qui se signalait à propos de la santé de sa fille, l’homme est obligé de ralentir. Il klaxonne, cherchant à se frayer un chemin, il bifurque à gauche. Devant, des musulmans d’empressent à la mosquée Cheick Al Burharan. La circulation est bloquée par le truchement des fidèles qui ont étalé leurs tapis de la mosquée jusqu’aux abords de la voie où se trouvaient Beindé Mathias et sa fille alitée. Décidemment, les dieux de la santé ne sont pas de son côté. Pendant que les musulmans ont bloqué la circulation pour prier sa fille se tordait de douleur dans la voiture. Pas d’alternatives. Visiblement très remonté, Mathias transpirait à grosses gouttes comme si l’eau de son corps se vidait. L’unique choix et le seul qu’il opte, est de foncer. Mais il ne peut arrimer. A y voir sa conduite, on a l’impression d’un véhicule en panne. Pourtant, ce sont les embouteillages qui l’ont obligé à prendre cette allure. Ne pouvant ni continuer, ni faire marche arrière, il appuie le klaxon de sa voiture orchestrant un tohu-bohu. « Ça ne va pas chez vous ? Comment vous pouvez vous permettre d’étaler vos nattes jusqu’à bloquer la voie publique ? N’y a-t-il pas d’autres mosquées pour aller prier ? », s’emporte-t-il. Mais, personne ne fait fi. Ne sachant à quel saint se vouer, Mathias pousse à tue-tête un cri de détresse. « Holà ??? ». Hélas, son insistance n’a pas payé. Un musulman en pleine prière, assis sur ses deux pieds, posant son front au sol, relève son buste – se tourne vers l’importuné avec un regard sournois, retourne sa tête en direction de l’imam et continue de prier tranquillement comme si de rien n’était. A travers son pare-brise, M. Beindé Mathias fait un signe de la main, appelant ceux qui y venaient pour prier. Tellement qu’il insistait, l’un d’entre eux, certainement pieux, s’est approché de sa voiture pour comprendre ce qui se passait. Cette scène a attiré notre attention. Nous nous rapprochons de plus près pour mieux comprendre. C’est à cet instant que M. Beindé Mathias nous appelle au secours. « Pouvez-vous m’aider à trouver un passage pour amener ma fille urgemment à l’hôpital ? », lance-t-il à notre égard. Nous tentons de lui prêter mains fortes. Mais pas trop longtemps dans notre périple. On se heurte à bien des fidèles installés par rangées devant nous et en pleine prière. M. Beindé fait signe de la main à un bonhomme qui se trouvait sur les lieux, un habitué du coin. « Aidez-moi à amener ma fille à l’hôpital car ma voiture est coincée et sa santé se détériore », lance-t-il à son endroit. Cependant, cet appel à l’aide n’a pas reçu d’écho favorable. « Même si j’arrive à le faire, devant vous, il y aura toujours des embûches. Je suis désolé mais vous ferez mieux d’attendre la fin de la prière pour continuer. », répond-t-il avec altruisme. Ne sachant que faire, M. Beindé Mathias sort de la voiture, prend sa fille sur les épaules, referme les portuaires de la voiture et continue à pied. Après quelques minutes de marche, est presque essoufflé. Les forces le lâche. Il fait asseoir sa fille sur sa fille en le soutenant par le dos. Aidé par les riverains, il parvient à trouver un cabinet de soins dans le périmètre. Presqu’épuisé, M. Beindé Mathias se prête à nous. « C’est un sale quart d’heure que je viens de vivre. Vous voyez-vous, comment peut-on admettre qu’en pleine ville, des gens se permettent de bloquer la circulation pendant des heures pour la prière ? On est dans quel pays ? Est-ce que Dieu entendra quand même leur prière lorsqu’une personne se tord de douleurs mais eux-se fichent de son état de santé. Tout ça, c’est la faute de la mairie et de la police nationale », raconte-t-il. [Tout le début cette scène nous a été rapporté par lui-même].
Dans nos échanges, notre interlocuteur fait comprendre que saurait été des chrétiens, il n’allait pas, lui et sa fille subir ce parcours de combattant. Selon lui, les chrétiens, (puisqu’il est aussi de la religion chrétienne) allait interrompre la prière pour lui porter secours. « Je crois que si c’était mes frères chrétiens, ils allaient interrompre la prière pour nous aider. En plus, c’est rare de voir des chrétiens bloquer la circulation pour prier. Même pendant les campagnes d’évangélisation, tout est encadré de sorte à faciliter la circulation routière. C’est n’est pas de leur faute. Si la mairie et la police faisaient normalement leur travail, on ne peut pas arriver à ce niveau », s’insurge-t-il.
A bien comprendre ce dernier, la police municipale et la brigade de circulation routière doivent s’organiser pour réguler la circulation aux heures de pointe et aux heures de prière musulmane pour éviter les embouteillages. A quelques jets de pierre de l’endroit où nous nous trouvons, il est à apercevoir deux agents municipaux. Nous tentons d’en savoir plus sur ce laxisme qui se pose souvent aux heures de prière musulmane mais ces derniers nous ont opposé un refus poli. « On ne parle pas sans l’autorisation de notre hiérarchie. Vous pouvez bien vous approcher des responsables de la voirie », répondent-ils. A peine qu’on veut écourter cette discussion qui risque de tourner au vinaigre qu’un policier de la brigade de circulation, se pointe à notre nez. Il accepte volontiers de répondre à nos sollicitations mais sous le couvert d’anonymat. Selon lui, depuis l’avènement des attaques terroristes au Tchad, les jours de prière musulmane surtout les vendredis, chaque commissariat de sécurité publique affecte ses agents dans les lieux de culte de sa circonscription pour assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. « On affecte des policiers dans les mosquées et les églises pour assurer la sécurité et réguler la circulation aux heures de prière. Mais, certains désertent ces endroits parce qu’ils ne trouvent pas leur compte », confie-t-il tout en ajoutant qu’il est difficile sur pour les mosquées implantées dans les marchés et aux abords des grandes voies de respecter la circulation. « Ce n’est pas facile surtout les vendredis. Chaque jour, on crée des mosquées et la police ne peut pas tout contrôler. On ne s’occupe que des grandes mosquées. Il faut aussi tenir compte du nombre des policiers », explique-il. A comprendre qui voudra ! C’est une journée épuisante mais souhaitons mieux comprendre. Une virée s’impose au marché central de la capitale économique du Tchad. Une autre scène se fait observer.
M. Altébaye Gérard se promenait en ville ! En bifurquant au marché central pour faire quelques courses, il tombe à net dans un embouteillage. C’est l’heure de prière musulmane. Quelques détenteurs des boutiques se bousculent pour rattraper l’imam qui annonçait la prière. Il tente malgré lui de foncer. Mais il sera interrompu dans cette aventure pédestre juste une dizaine de pas. Les allées étaient obstruées par les musulmans qui priaient. Pas d’issue pour avancer. Altébaye Gérard patiente jusqu’à la fin de la prière avant de faire ses achats. Très en colère, il retient son souffle. « Un jour, un jour », répète-t-il très furieux tout en dissipant sa colère.
Cette scène anodine est souvent récurrente aux heures de prière devant les moquées et les églises et montre un conflit latent dans les communautés religieuses à ne pas négliger. Il n’y a pas que ces habitudes chez les musulmans.
Ce dimanche 18 février 2024, c’est l’entrée en catéchuménat à l’église catholique. Comme à l’accoutumée, cette cérémonie draine de nombreuses familles chrétiennes à l’église. Il est 11H47 minutes devant la cathédrale Saint Jean de Djarabé. On aperçoit une grosse croix portée par un enfant de chœur dans une soutane en blanche suivi par d’autres enfants de chœur et de deux prêtres. L’évêque, tenant en main sa canne clôture la marche, faisant des signes de croix au passage. Cette procession indique la fin de la messe. Dans la foulée des félicitations et des réjouissances, ceux qui viennent de recevoir le sacrement en s’engageant dans leur cheminement spirituel devant les conduire dans deux ans au baptême, reçoivent des accolades des membres de leurs et de leurs connaissances. C’est un festin de poussières entremêlés des youyous et des vrombissements de moteurs des usagers. Chacun veut sortir en premier.
Abdoulaye Hassan, devrait livrer des barres de glaces dans un restaurant à quelques enjambées de la cathédrale Saint Jean. Dans son périple, il croise les fidèles qui sortaient de l’église. Ces derniers ne font fi de ses barres de glaces qui s’effondrent sous le soleil. Visiblement très remonté, il tente de trouver des allées. Les klaxons de sa motocyclette et autres supplications ne l’ont permis de poursuivre son chemin.
Devant lui, un groupe de jeunes dansent aux sons de Tam-Tam. La tension monte d’un cran. Abdoulaye Hassan lâche d’un ton sec : « Houmar dol da », entendez littéralement par là en arabe tchadien… « Bande d’ânes ». A l’écoute de cette bribe d’injures, l’un des meneurs du groupe s’érige en défenseur. « C’est aussi comme ça que vous faites à vos heures de prière non ? Vous ne vous souciez même pas des passants. Vous faites comme si le Tchad est un pays islamique et lorsqu’il s’agit de nous, tu te permets de nous insulter ? D’ailleurs, c’est seulement le dimanche alors que vous, vous le faites tous les jours et pire encore les vendredis », défend-il sa cohorte. L’un d’eux qui n’a pas digéré cette injure, veut en découvre avec le vendeur de glace n’eut été l’intervention des autres fidèles chrétiens sortis de l’église. Pour calmer les esprits surchauffés, il a fallu presqu’un quart d’heure. Abdoulaye Hassan perd presque la moitié de la commande des barres de glace qu’il doit livrer. Il est parvenu tout de même à sortir de cet encombrement. Soit !
Dans les milieux de forte concentration humaine, on y voit des mosquées et des églises installées par endroit, tout le long des rues, des ruelles et des routes. S’il est difficile de se frayer un chemin aux heures de pointe, c’est encore plus grave aux heures de prière. Les fidèles musulmans installent leur tapis jusqu’à perturber la circulation routière créant des embouteillages. Que ce soit dans les marchés, devant les établissements scolaires, les centres hospitaliers, dans les églises ou encore dans les institutions publiques. Cette situation qui s’apparente aux troubles à l’ordre public irrite certains usagers qui murissent en sourdine leurs frustrations et mécontentements. Par contre, quelques rares chrétiens et musulmans respectueux des règles de bonne conduite en font l’exception comme c’est le cas de la Mosquée Cheick Abdelhatif.
Là-bas, un cordon sécuritaire est dressé tout autour de l’aire de prière. Des jeunes volontaires habillés en gilets verts filtrent toutes les entrées. Une autre équipe s’occupe des fouilles d’armes et des objets tranchant. Une autre équipe encore s’occupe des engins orientant les conducteurs à bien garer leurs engins dans le parking apprêté à cet effet. Une autre équipe encore s’occupe de l’alignement des tapis. A la fin de la prière, les fidèles sont priés de sortir selon l’ordre d’arrivée afin d’éviter des bousculades. Malgré que ce soit un vendredi, la circulation est fluide grâce devant cette mosquée.
Le même exemple est à constater à l’église évangélique au Tchad (EET) n°1 de Moundou. Dans cette église, les jeunes flambeaux et lumières se donnent volontiers pour le service. Déjà à l’entrée, deux chefs de troupes, tirés à quatre épingles dans leurs tenues régulent la circulation. Des coups de sifflets retentissent par moment. Curieux, nous nous approchons d’eux pour bien comprendre. « Hormis les autres jours de prière qui font drainer une foule nombreuse à l’église, le dimanche, c’est énorme. Pour éviter des cas d’accidents, des échauffourées entre nos fidèles et les passants, nous nous sommes organisés pour réguler la circulation devant l’église. On ne permet pas qu’un fidèle gare son engin en dehors du parking. Mes éléments doivent venir très tôt avant l’heure de culte pour tout mettre en place et rentrer après tous les autres. Ça permet d’éviter le désordre », nous explique le chef de troupe de l’EET n°1 en faction.
Ce sont autant des cas d’école à suivre par les responsables des mosquées et des églises pour rendre fluide la circulation et d’éviter inutilement des pertes de temps. Même du côté administratif, l’on nous a fait savoir qu’il n’existe pas encore des textes règlementant la création et l’implantation des églises et mosquées dans les périmètres urbains.